Mais qui d'entre nous pécheurs allait jeter la première pierre ? Pas moi, qui vis de royalties des maisons d'édition appartenant à des groupes d'entreprises. Nous regardons tous les chaînes Tata Sky, nous surfons sur Internet avec Tata Photon, nous prenons des taxis Tata, nous logeons dans des hôtels Tata, nous sirotons notre thé Tata dans de la porcelaine tendre Tata que nous remuons avec des petites cuillers en acier Tata. Nous achetons des livres Tata dans des librairies Tata. Hum Tata ka namak khatey hain. Nous sommes assiégés.
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Quatrième de couverture "La domination du capitalisme fut telle qu’elle cessa d’être perçue comme une idéologie. Elle est devenue le modèle par défaut, le comportement naturel. Elle s’est infiltrée dans la normalité, a colonisé l’ordinaire, au point que la contester est apparu comme aussi absurde ou ésotérique qu’une remise en cause de la réalité elle-même. Dès lors, le pas fut aisément et promptement franchi pour affirmer : "Il n’y a pas d’alternative." Dans cette série d’essais, Arundhati Roy, l’auteure du sublime roman "Le Dieu des Petits Riens", s’intéresse à la face cachée de la démocratie indienne – un pays de 1,2 milliard d’habitants où les cent personnes les plus riches possèdent l’équivalent d’un quart du produit intérieur brut. Ce texte virulent présente un portrait féroce et lucide d’un pays hanté par ses fantômes : ceux des centaines de milliers de fermiers qui n’ont pour seule échappatoire à leurs dettes que le suicide ; ceux des centaines de millions de personnes qui vivent avec moins de deux dollars par jour. Face à eux, une infime minorité de la population contrôle la majorité des richesses et parvient à dicter la politique gouvernementale. Cette classe corrompue par l’omniprésence des ONG et des fondations est au cœur du système remis en cause par l’auteure. Cependant, Roy va au-delà du pamphlet contre le capitalisme et propose une véritable réflexion sur son histoire et ses rouages. Avant de conclure par plusieurs propositions pour en sortir, le temps d’un discours aux militants d’Occupy Wall Street.
Il est bien dommage d'associer uniquement Arundhati Roy à son unique roman "Le Dieu des Petits Riens". "Le Dieu des Petits Riens" est bien sûr une lecture incontournable dans la littérature indienne mais il est très intéressant de connaître ses autres ouvrages qui sont de véritables immersions au plus profond des maux de l'Inde et du Monde. "Capitalisme : une histoire de fantômes" est l'un d'entre eux. A travers six articles qu'Arundhati Roy a publié pour la presse indienne et étrangère - Outlook, The Hindu, New York Times - elle nous plonge au cœur du capitalisme et ses méfaits sur l'Inde en prenant compte de la théorie du "gush-up" tout en analysant en parallèle son histoire et ses rouages, nous faisant quitter l'Inde pour retrouver le "lieu de naissance" du capitalisme : les États-Unis. Arundhati Roy commence cet ouvrage avec l'essai "Capitalisme : une histoire de fantômes", titre qui a été repris pour le nom de l'ouvrage. Elle débute cet essai avec un parfait exemple indien, l'immeuble Antilia de l'homme d'affaires indien Mukesh Ambani (et accessoirement l'homme le plus riche du pays) qui se trouve à Mumbai. Antilia est un véritable modèle d'exubérance et étalement de richesse au vu et au su des fantômes qui errent dans les rues au bas de cet immeuble et dans l'Inde entière, de véritables crève-la-faim qui gênent n'importe quel lieu où ils trimballent leur carcasse, même la terre qui les avait vu naître. Second sujet abordé dans la deuxième partie de cet ouvrage par Arundhati Roy, le délicat sujet du Cachemire devenu zone la plus militarisée au monde. Arundhati Roy est une femme de terrain qui n'a pas froid aux yeux malgré le danger qu'elle côtoie chaque jour juste en disant haut et fort ce qu'il est interdit de penser. Elle nous révèle la vraie face de l'Inde et n'hésite pas à soulever les tabous. Je ne vous en dirais pas plus mais je vous conseille très fortement cette lecture, pour ce qu'il contient bien sûr mais surtout pour Arundhati Roy et les actions qu'elles mènent et toutes les investigations qu'elle entreprend pour ouvrir les yeux du monde.
Ce qui suit dans cet essai apparaîtra peut-être aux yeux de certains comme une critique assez sévère. D'un autre côté, dans la tradition qui veut que l'on honore son adversaire, il pourrait être lu comme une reconnaissance de la vision, de la flexibilité, de la sophistication et de la détermination inébranlable de ceux qui ont consacré leur existence à débarrasser le monde de tout danger pour le capitalisme.
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Capitalisme : une histoire de fantômes
Arundhati Roy
Titre original : Capitalism, a Ghost Story
Traduction de l'anglais (Inde) par Juliette Bourdin Date de parution : 13 octobre 2016 Éditions Gallimard - Hors-série Connaissance - ISBN : 9782070117482 - 160 pages - Prix éditeur : 16 €
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