Elle se couvrit le visage avec le pan de son sari, retient son souffle et se dit : "Dev-da, cette blessure est mon soulagement, mon seul espoir. Vous m'aimiez et donc ce fut très gentil d'inscrire notre douce relation sur mon front. Ce n'est pas une honte, ni un scandale, mais une marque de fierté pour moi." - Parou ! - Quoi ? répondit-elle à travers le voile de son sari.
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"Devdas" a été adapté seize fois au cinéma mais dans les souvenirs l'on retiendra avant tout sa version de 2002 où Devdas est incarné par Shahrukh Khan et Parvati par la belle Aishwarya Rai Bachhan. L'on oublie souvent qu'avant le film, "Devdas" est avant tout un chef d'oeuvre littéraire d'origine bengalie écrit en 1901 par Sarat Chandra Chatterjee alors qu'il était âgé de 17 ans.
Devdas est un jeune homme de la caste des brahmanes et fils du zamindar d'un petit village bengali. Il a grandi auprès de sa voisine Parvoti, qu'il surnomme affectueusement Paro, de cinq ans sa cadette et de la caste des commerçants. Devdas ayant un comportement turbulent et surtout insouciant, s'étant même fait renvoyer de l'école du village après une énième bêtise, ses parents décidèrent de l'envoyer à Calcutta. Pendant les vacances, il retourne à son village mais il y réalise que sa nouvelle vie à Calcutta l'a changé tout comme la camaraderie innocente qu'il entretenait autrefois avec Paro. Cette dernière est devenue une très belle jeune fille et les sentiments qu'ils ressentent l'un pour l'autre sont plus forts. A 13 ans, Parvoti est promise à un homme veuf d'âge mûr et très riche qui apportera une dot conséquente en échange de la main de Parvoti. La mère et la grand-mère de Parvoti tentent tout de même une dernière approche auprès du zamindar afin d'unir Parvoti à Devdas. Mais la famille à Devdas refuse cette proposition, déjà Parvoti est une voisine et de plus d'une caste inférieure. Paro tente sa dernière chance auprès de son ami mais ce dernier, dans un état de confusion, préfère fuir à Calcutta, il reviendra, mais trop tard. Parvoti épouse rapidement le riche Monsieur Chowdhury, un zamindar d'un autre village, s'installe auprès de ce dernier et devient la mère des enfants déjà âgés de son époux. Elle vit richement et s'occupe en prenant soin des pauvres, des saddhus et miséreux qui frappent à sa porte. Devdas sombre dans la débauche, il décide d'arrêter ses études et de ne pas s'unir à une femme. Il se rend régulièrement chez une fille de mauvaise vertu du nom de Chandramoukhi mais uniquement pour s’enivrer d'alcool et faire parler son cœur brisé. Chandramoukhi s'amourachera de cet homme qui la rejette et l'insulte. Après la mort de son père, Devdas s'enfonce de plus en plus dans l'alcool et fréquente des filles de joie, dilapide son héritage et se meurt.
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"Devdas" est une tragédie romantique. C'est roman puissant, profond et bouleversant. L'histoire dépeint les coutumes sociales et les défaillances sociales que l'on retrouvait dans les années 1900 au Bengale et qui sont sans doute toujours présentes dans la société actuelle. L'auteur Chaterjee s'appuie sans doute sur sa propre expérience, la ruine de sa famille pourtant brahmane, tout en y apportant des faits fictifs qui peuvent conduire à une telle perte. On y apprend également le système de dot "inversé" d'usage dans certaines parties du Bengale, où c'est le futur époux qui verse aux parents de la promise et non pas le contraire. Le langage utilisé s’apparente à son époque et les mots en bengali sont nombreux. On découvre plus profondément que dans son adaptation cinématographique la complexité individuelle portée par des aspirations contradictoires et qui mènent à une situation tragique. "Devdas" en se murant dans le silence, s’autodétruit à petit feu, une autodestruction parfois incompréhensible. Parvoti s'impliquant corps et âme dans son rôle d'épouse, de mère de substitution et de bienfaitrice essaye d'oublier son amour pour Devdas. Le roman apporte en plus du film, l'aspect psychologique de ses personnages. On connaît l'histoire par le film mais le roman mérite d'être lu et découvert.
Aujourd'hui il voyait clair à travers le brouillard qui avait voilé ses yeux lors de la première arrivée de sa jeunesse. Il se tourna vers le passé, vers son adolescence ; soudain cette perle piétinée de son adolescence insouciante et turbulente lui parut maintenant comme plus précieuse et plus attrayante que tous les plaisirs ciselés de Kolkata.
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Elle avait pensé qu'elle devait revoir Devdas au moins une fois en cette heure de deuil. Mais qu'était devenu maintenant son Dev-dada bien aimé ? Les souvenirs encombraient son esprit. Si elle critiquait une fois Devdas, elle se le reprochait ensuite mille fois. Si elle avait été là, se répétait-elle sans cesse, les choses auraient-elles pris une si triste tournure ? C'était elle, l'architecte de la misère.
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La mort n'épargne personne. Mais qu'à cette dernière heure, le front du mort reçoive le toucher de doigts affectueux, que la flamme de sa vie s'éteigne sous le regard d'un visage empli d'affection et de compassion, qu'il voie au moins une larme dans les yeux d'un être humain. Ce serait pour lui un bonheur suffisant au moment de son départ pour l'autre monde.
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DEVDAS
De Sarat Chandra Chatterjee
Traduit du bengali par Amarnath Dutta
Editions "Les Belles Lettres" - Collection "La voix de l'Inde" - Date de parution : 14 avril 2006 - ISBN : 978-2251720074 - 208 pages - Prix éditeur : 14,20 €
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