Mais où était la passion dans le monde qui m'entourait ? L'amour maternel passionné, je ne le connaissais que trop bien, mais ce à quoi j'aspirais, c'était autre chose, un sentiment absolu, compulsif et obsédant, qui torture les cœurs et convulse les âmes, qui forçait les histoires à s'ouvrir dans la douleur et révéler leurs secrets. C'était une irritation à l'égard du banal, une contrariété vis-à-vis de la routine quotidienne, un ardent désir de connaître plus que ce qu'on a, une rage à l'encontre de ce dont le reste du monde voudrait qu'on se contente. Hélas, en dehors de mes livres, cette passion-là restait cruellement introuvable.
Padma vit seule à Delhi où elle élève seule sa fille Mallika. Elle est aidée par une ayah car elle travaille à l'université et prépare un doctorat. Étant très discrète sur le père de Mallika, l'on raconte, même si Padma ne porte pas le sari blanc des veuves, que son mari est décédé. Deux à trois fois par an, Padma reçoit la visite, durant quelques jours, de sa sœur cadette, Shantamama, son dernier lien avec sa famille.
Les parents de Padma vivent dans le Sud de l'Inde, à Bangalore, mais la distance n'est pas la seule raison pour laquelle ils ne viennent jamais à Delhi.
Heureusement, Padma peut compter sur ses voisines, dont certaines sont devenues ses meilleures amies. Parmi elles, Anou et Madhou qui sont également des mères de famille. Leurs enfants sont les compagnons de jeu de Mallika.
Kiran, le père de Mallika, est absent depuis treize ans, mais il n'a jamais cessé de hanter la vie de Padma, qui porte en elle, un lourd secret.
Tout le long de sa lecture de "L'Année des secrets", le lecteur doit prêter une attention toute particulière aux voix des femmes qui prennent tour à tour la parole. "Listening Now", le titre de sa version originale, et bien plus en symbiose avec le contenu que son titre français "L'Année des secrets" car celui qui espère que les secrets soient vites dévoilés sera bien déçu car dans ce roman Anjana Appachana sait faire durer le suspens ... jusqu'au bout. La première voix à s'exprimer, n'est pas celle d'une femme mais d'une enfant, Mallika, la fille à Padma. Elle nous raconte sa vie d'enfant, sa relation avec sa mère et sa tante, l'absence de son père, ses jeux et les histoires qu'elle se raconte, sa passion pour la lecture, ses souvenirs d'enfance ... On ne pourra qu'être émue sur le faite qu'elle espère, lorsque retenti la sonnette, voir à l'embrasure de la porte son père. D'autres voix s'expriment à la suite de Mallika, celles des femmes de l'entourage de Padma : ses amies et voisines Madhou et Anouradha et sa sœur Shanta, puis Padma et Rukmini sa mère. Chaque personnage féminin nous livre ses souvenirs, ses pensées, leur quotidien, ... Chacune nous raconte leur enfance, le mariage, ce qui a changé avec le mariage, leurs enfants, leurs relations avec la belle-famille ...
Madhou et Anouradha nous donnera leur version de l'histoire de Padma, celle que leur avait racontée Shanta lors de l'emménagement de Padma dans le quartier et qui avait été la version jugée la moins dégradante pour Padma, celle qu'elle est veuve. Pourtant lorsque Shanta prendra la parole, le nuage se dissipera et la vérité commencera peu à peu à être dévoilée pour l'être totalement avec l'intervention de Padma puis de Rukmini. Shanta, Padma et Rukmini, trois femmes de la famille Rao, portant chacune le poids de ce qui est arrivée à Padma et les conséquences qui ont déclenchées une destruction de leur famille pourtant autrefois plus qu'unie. Anjana Appachana réussit à nous plonger au plus profond de cette vision complexe du bonheur brisé et des rêves flétris. Peu à peu, les confidences deviennent récit et l'on se retrouve au moment présent, le roman prend alors une autre tournure mais surtout un évènement inattendu y prend place. A travers "L'Année des secrets", Anjana Appachana nous dépeint le portrait de femmes de l'Inde moderne à travers l'exemple de quelques femmes : femmes ayant abandonné les études par choix ou par devoir mais également femmes ayant repris les études, femmes sous l'emprise de leur belle-mère, femmes dévouées à sa famille, femmes larguées, ... Et quels sont la place des hommes dans ce roman, ils ne sont pas dépeints comme des monstres en ce qui concerne les maris mais comme des hommes tels qu'ils sont : certains plus à l'écoute de leur femme, d'autres sous l'emprise de leur mère, ... Mais Anjana Appachana n'oublie pas de rappeler que l'homme peut se transformer en animal envers les femmes, notamment lors d'agressions sexuelles pouvant avoir lieu en pleine rue et en pleine foule. Les premiers chapitres de "L'Année des secrets" peuvent se révéler fastidieux et incompréhensible car il faut du temps à ce que le lecteur se familiarise avec la myriade de personnages. Mais il est bon de s'accrocher car lorsque les personnages deviennent familiers, tout comme le lieu, Delhi, le roman sera vous tenir en haleine et cette lecture vous subjuguera. Vous prendrez conscience que les premiers chapitres vous avait apportés des détails qui paraissaient insignifiant prennent quelques 300-400 pages plus loin, tout un sens. A vous de "Listening now" ce que ces femmes ont à vous conter.
Comment survivrait-elle à son propre tempérament dans un monde où les femmes n'étaient pas censées agir au nom de leurs convictions, et où cela ne pouvait mener qu'à la catastrophe ? Le sens de l'équité n'est pas un cadeau qu'on apporte à son époux le jour du mariage. C'était une qualité uniquement utile dans les relations de l'autre monde, celui qui existait en dehors de la maison, et combien de femmes connaissaient ce monde-là ? Se fier à ses convictions et dire ce qu'on pensait, c'était nécessaire dans le monde professionnel, les gens bien, comme le mari d'Anou le faisaient.
L'Année des secrets
par Anjana Appachana
Titre original : Listening Now
Roman traduit de l’anglais (Inde) par Catherine Richard
Éditions Zulma • Parution le 7 février 2013 • ISBN 978-2-84304-595-0 • 608 pages • Prix éditeur : 24,80 €
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