"Au moins c'est un péché qui a de l'éclat, reprend-elle, au moins c'est un péché de couleur, un péché de couleur, un péché qui a sa beauté propre, sans rien de vil" "Une couleur de péché" raconte l'histoire de trois générations d'une famille aisée indienne. La toile de fond de ce roman est Oxford. Logique que cette cité universitaire anglaise l'est car c'est là où vit l'auteure et sa famille. L'Inde n'est pas oublié car le pilier de l'histoire, avec la maison familiale, est situé à Calcutta. Le roman base son récit sur une cinquantaine d'années, elle commence avec la Partition, fait souvent des bonds d'une dizaine année pour terminer au milieu des années 1990. L'histoire est parfaitement synchronisée et chaque élément qui la compose est important pour la suite des évènements. ~~~~~ Indranath Roy a fait fortune dans le teck birman, et avec Neerupama, ont élu domicile dans une noble villa achetée à un anglais et qu'ils ont rebaptisé "Mandalay". C'est dans cette vaste demeure, qu'ils vivront avec leurs enfants, puis viendra le tour de leur fils aîné, après avoir épousé Reba, à prendre les rennes de la maisonnée et fonder sa propre famille. En Inde, plusieurs générations vivent sous le même toit. Debendranath Roy, le fils cadet de Indranath vit également à Mandalay. C'est un garçon studieux, toujours le nez dans les livres et assez solitaire, du coup il n'avait pas vraiment prêté attention à ce qu'il se passait dans la maison familiale. Mais un jour, après la naissance de sa nièce Niharika, il tomba éperdument amoureux de sa belle-sœur Reba, un amour impossible et purement platonique mais pourtant cela deviendra une obsession. Malgré ses brillantes études à Oxford où en quelque sorte il y trouvera refuge, il refusera de goûter au bonheur car ses pensées sont trop absorbées par Reba. Par dépit peut-être, il finira par épouser la nièce de sa logeuse, Jessica, qu'il négligera. Mais un jour, après une promenade en barque sur la rivière Cherwell à Oxford, il disparaîtra, peut-être noyé, laissant une Jessica dans une profonde tristesse et un long veuvage. Une dizaine d'année passèrent, avant que la nièce de Debendranath fit à son tour ses études à Oxford. Niharika retrouvera l'environnement dans lequel vivait son oncle ; tout d'abord sa tante, le couple du Professeur d'Université et leur fils Daniel. Daniel est marié et a un fils, c'est surtout le dernier à avoir vu Debendranth et Niharika entretiendra avec une lui une relation particulière. Pour Niharika, ses années à Oxford sera ponctuées bien sûr par ses études mais également par les ombres du passé de son oncle ; une année universitaire à Princeton aux États-Unis où elle aura comme compagnon de sorties un ami à Daniel ; des recherches pour sa thèse qui porte le sujet d'un Pygmée ; un livre qui clôturera ses recherches ; quelques visites de ses parents et de sa nièce ... Après ses années d'études, elle retournera à Calcutta, où sa famille a déserté la demeure familiale pour vivre à Delhi. Elle profitera de ce retour aux sources, et dans cette maison maintenant délabrée, pour écrire un livre sur son oncle disparut. Mais un jour de mousson, une arrivée surprise bouleversera 20 ans de mystère, mais ce n'est pas tout. ~~~~~ Le roman tourne évidement autour de Debendranath Roy, qui sera le personnage principal dans une première grande partie avant de passer en second plan, pour donner son rôle principal à sa nièce Niharika. L'auteur a eut une bonne idée de donner un nom aux personnages importants pour le déroulement de l'histoire et laissant ainsi sans identité, juste leur fonction, aux autres. Chaque personnage important aura droit à un ou plusieurs moments de parole et nous fera découvrir leur sentiment complexe, leur émotions et quelques fois des souvenirs. Ces confidences ont été intentionnellement amené par l'auteur pour de multiples raisons. Le roman, avec ses 7 chapitres aux noms de couleurs, est captivant et chaque personnage nommé à son importance dans le déroulement de l'histoire. Chacun d'eux est très habilement utilisés pour apporter une valeur ajoutée à l'histoire et laissera une marque dans votre esprit. Certains personnages qui peuvent au premier abord paraître ennuyeux, seront au final décrit avec un si bon soin et une certaine sagesse. Sans révéler la fin du roman, je peux vous assurer que le lecteur n'est pas au bout de ses surprises en croyant atteindre la fin du livre. Concernant le péché, en soit ils sont nombreux dans ce roman, mais ceux qui prédominent sont ceux de l'obsession et de l'engouement. Dans l'ensemble, c'est un livre écrit avec une plume experte et avec une profonde âme. Il s'écoule lentement, mais il n'est à aucun moment ennuyeux. Je le recommande fortement à quiconque qui est intéressé par un livre avec une bonne écriture et une bonne narration, même à ceux qui ne sont pas à la base attiré par des romans indiens. ~~~~~ Petites confidences L'auteure s'est inspiré pour écrire ce roman de Daphné Du Maurier "Rebecca", à la demande du Daily Mail, mais pas seulement. "La Couleur du Péché" est en fait truffé de références à de nombreuses œuvres de la littérature, à partir des chansons de Tagore, le roman "Jane Eyre" de Charlotte Brontë et Bertold Brecht. Le titre "La Couleur du Péché" n'a pas été choisi par hasard, il est inspiré par Horward Braker, poète et dramaturge, et de son oeuvre "A Hard Heart" dans lequel une femme extrêmement arrogante dit de sa vanité que ça serait un péché, il se nommerait "Péché de Couleur". Le sujet principal du roman peut faire penser à un film bengali de 1964 dirigé de Satyajit Ray "Charulata", lui-même basé sur l’œuvre de Rabindranath Tagore "Nastanirh". Le théatre, la musique, la poésie et la science ont également une place importante dans le roman. Il suffit de regarder le parcours de l'auteure et le lecteur dévinera que rien n'est dans ce roman par hasard.
Il l'imagina, comme elle avait pû être dans sa neuve virginité, debout devant la haute fenêtre, regardant la rangée de taudis adossés aux murs de la maison voisine. Il l'imaginait avant qu'elle ait acquis sa maîtrise d'elle-même si formidable, ses talents innombrables, son aptitude à rabaisser n'importe qui d'une légère inclinaison des yeux. Il l'imaginait dans son enfance protégée et solitaire, fille unique d'un fameux professeur d'histoire de l'Inde ancienne et de sa femme malade.
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Et des années plus tard, alors qu'il était allongé dans sa grande barque sur la Cherwell, ce fut ce chant qui lui donna la force de décider une fois pour toutes de ne pas rentrer, que la douche toile de mensonges formant sa vie était devenue trop lâche pour retenir son amour pour elle. La barque revient sans lui et le monde fut invité à croire qu'il s'était noyé ...
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Elle ne souvenait pas d'avoir raconté des histoires à sa mère, mais il était vrai que ses frères et ses cousins avaient souvent écouté, des heures durant, ses contes fantastiques. Un de leurs jeux favoris s'appelait "Galimatias" où quelqu'un commençait une histoire, poursuivie par les autres en succession, mais elle intervenait toujours en dernier pour les tenir en haleine et rassembler tous les fils, qui risquaient fort de s'éparpiller, les tressant en un dénouement spectaculaire.
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Un après-midi, peu après leur arrivée, elle tomba sur elles en s'y rendant, sur Reba et l'enfant, assises toutes les deux sous Hythe Bridge, et elle eut quasiment l'impression de pénétrer dans un jardin privé, en voyant sa mère fixer les eaux mornes avec la grâce d'une épouse de monarque. Elle resta à les regarder, prise d'une sensation étrange, entêtante de culpabilité, dans cette étrange oasis, la circulation hurlant autour d'elles sur Hythe Bridge et la Park End, elles semblaient, sa mère qui tenait la main de sa petite-fille, protégées par leur dignité.
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Au moins l'absence de Daniel la laissait entière, dans cette parfaite complétude de séparation d'un amant, l'angoisse miellée qu'elle avait célébrée par la formule du poète bien avant d'en connaître la morsure : "Ton absence adoucit la soif que j'ai de toi en cette nuit de pleine lune, quels mirages exquis le clair de lune convoque-t-il sur mes paupières closes" : c'était une terrible mélancolie qu'elle avait chanté cela lors d'une soirée chez des amis quelques jours avant son départ de Calcutta car, à l'époque, elle souhaitait pouvoir laisser un être derrière elle, quelqu'un dont elle saurait tenir les pensées pressées contre ses lèvres en errant par les nuits brumeuses parmi les clochers d'Oxford.
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La Couleur du Péché
De Sunetra Gupta
Traduit de l'anglais par Guillaume Villeneuve
Titre original : The Sin of Colour
Editions Robert Laffont - Collection : Pavillons - Parution : 16 juin 2000 - 251 pages - Broché - ISBN : 978-2221093191 - Livre neuf : 20 €