Nous sommes entre les steppes du Rajasthan et le Désert du Thar au "Pays de la Mort", connu pour nous sous le nom du Marwar. Dans cette contrée, depuis des siècles des Chatrans "Vagabonds", des conteurs ou "sourciers des mots" vont de villages en hameaux contés les histoires.
Parmi leurs milliers d'histoires qui sont remontés jusqu'à nous, il y a celle d'un garçon qui recevra des années après sa naissance le nom de Djambo "Merveille" par un magicien errant. Djambo n'est d'autre que le fondateur de la communauté des Bishnoïs au XVème siècle. Le même siècle qui a connu des années de famines dévastratrices, la construction du fort de Bikaner par le Rao Bika, fils du Rao de Jodhpur qui lui a construit avant de chasser son fils le fort de Jodhpur.
La naissance de Djambo, d'après certains écrits, n'était absolument pas désirée et sa famille ainsi que les villageois de Pipasar (son village natale) n'aimait pas ce garçon, sans raison apparente. Il devient très jeune à la demande de son père, gardien de vaches, le premier but était de le faire sortir du village et le deuxième étant de sortir les bêtes du village aux premiers rayons du soleil et de les ramener chaque soir peu importe où elles se rendent, tant qu'elles reviennent toutes. Tâches qui convenaient très bien à Djambo, comme cela il se fit oublier, deviens "invisible" et il apprît à découvrir la nature autour de lui : les gazelles, les dunes, les lacs ...
Sa vie sera faite de nombreuses rencontres dont deux qui auront une influence sur son action future. Tout d'abord celle de sa tante Karma qui est venue habiter à Pipasar après que son village aux confins du Thar fût mis à sac. Elle lui appris la science de la survie avec le respect des animaux, des conseils pour éviter les tempêtes de sable, comment irriguer de l'eau, ... Mais une deuxième rencontre l'aidera à devenir un homme, sa rencontre avec un magicien qui s'est arrêté par hasard dans le village natal de Djambo : Sawant. Cette homme était comme les conteurs, il allait de villages en hameaux distraire les villageois. Et lorsque Djambo s'enfuit de son village, c'est auprès de lui que Djambo se réfugiera. Par cette rencontre, il découvrira de longues étendues de terre sans fin, le monde et la parole. Après avoir quitté ce vieil homme, il fera un périple à Bikaner avec d'autres gens qui parcourent les routes et il finira par fuire cette ville suite à une très importante épidémie. Quelques mois après, il sera reconnu le fondateur des Bishnoïs, les Vingt-Neuf, tout simplement le nombre de règles de ce peuple.
Ce livre nous fait découvrir Djambo, son enfance, ses rencontres jusqu'à sa fuite de Bikaner. Ensuite le livre se transforme en récits de Chatrans, la vie de ce Djambo est plus espacée et ce sont plutôt des témoignages qui prédominent. On découvre dans cette partie la rencontre entre Djambo et les premiers membres de sa communauté, leur longue marche jusqu'à la plaine de sel où se situait une source et un gros bosquet de kharjris (arbres géants dont les racines capturent l'eau à plus de 100 mètres sous le sol aride) où ils s'installeraient, ce lieu s’appellera Khejarli. Ensuite l'on fait un bon d'une quinzaine d'années en avant et l'on retrouve les témoignages de ceux qui ont pu se rendre dans ce village après sa création et d'un villageois en particulier, les actions de Djambo en-dehors de son village lors de nouvelles grandes périodes de famine et la dévotion à Djambo après sa mort et encore aujourd'hui.
Le livre relate aussi le massacre dû à Abkaï, roi de Jodhpur, qui voulut couper les arbres des Bishnoï du village de Khajarli au XVIIIème siècle car il eut l'idée de construire un Palais des Fleurs, où seraient peintes de merveilleuses fresques de fleurs. Hors les Bishnoïs ont dans leur règle, qu'ils ne faut pas couper du bois vert seulement ramasser du bois mort. C'est pourquoi lorsque les soldats d'Abkaï et de son Akhim (Premier Ministre) arrivèrent à Khajarli pour venir couper les arbres, des femmes, des enfants, des vieillards et des hommes se sont enlacés aux arbres et parmi eux 363 personnes se sont fait massacrés. La liste de ces personnes se trouvent en fin d'ouvrage, les Aviseurs, ces conteurs étaient chargés de répertorier, à la demande de Djambo, chaque évènement historique qui toucherait les Bishnoïs, de même que tout l'état civil.
Cet ouvrage est un fabuleux recueil historique de ce peuple aujourd'hui de plus en plus médiatisé surtout pour leur côté écologiste. On retrouve toute l'histoire et surtout l'origine de leur philosophie qui n'est pas démodé de nos jours, bien au contraire, on retrouve le respect des femmes, le respect de la nature, l'absence de castes et de religions, la propreté et bien d'autres choses encore. On y retrouve également l'histoire des Roas de Jodhpur et de Bikaner.
Je ne ferais pas de billet sur les Bishnoïs sur ce blog, pour la simple raison qu'en cherchant la plante "khejris" qui est beaucoup mentionné dans le livre, j'ai trouvé sur le net, un très bon et très développé billet sur les Bishnoïs que je vous invite vivement à vous y rendre (je ne veux pas faire du copiage d'autre blog et cette page est très fourni en informations) :
Pour finir, voici les 29 règles des Bishnoïs, certains principes ressemblent mots pour mots à ceux des bouddhistes.
1. Observer une mise à l'écart de la mère et du nouveau-né pendant trente jours après l'accouchement. 2. Écarter la femme de toute activité pendant 5 jours lors du début de ses règles. 3. Prendre un bain tous les matins. 4. Maintenir la propreté externe du corps et interne de l'esprit. 5. Méditer deux fois par jour, en matinée et en soirée, lorsque la nuit est encore séparée du jour. 6. Chanter la gloire du seigneur et exposer ses vertus chaque soirée. 7. Offrir l'oblation quotidienne au feu saint avec un cœur rempli de sentiments de bien-être pour tout être vivant, d'amour pour la nature et le monde entier et de dévotion au seigneur. 8. Employer l'eau filtrée, le lait et le bois de chauffage soigneusement nettoyé. 9. Etre attentif et conscient de ses paroles. 10. Pardonner naturellement. 11. Être compatissant. 12. Ne pas voler. 13. Ne pas dénigrer ni déprécier. 14. Ne pas mentir. 15. Ne pas se livrer à l'opprobre. 16. Jeûner et méditer la nuit sur la nouvelle lune. 17. Réciter le nom de Vishnou. 18. Être compatissant envers tous les êtres vivants. 19. Ne pas détruire les arbres verts. 20. Tuer les passions de convoitises, d'irritation, d'envie, d'avarice et d'attachement. 21. Se permettre de cuisiner soi-même, ou par un fidèle d'une autre religion ou secte. 22. Fournir un abri commun pour les chèvres et les moutons afin de leur éviter l'abattoir. 23. Ne pas castrer le taureau. 24. Ne pas consommer ou cultiver de l'opium. 25. Ne pas consommer ou cultiver du tabac et ses dérivés. 26. Ne pas consommer ou cultiver du cannabis. 27. Ne pas boire de boisson alcoolisée. 28. Ne pas manger de plats de viande ou non-végétariens et obligation de protéger et de nourrir les animaux sauvages. 29. Ne pas utiliser de vêtements teints en bleu.
À partir de ce soir-là, chaque matin, la hâte à dompter l'horizon. qu'importent la poussière et le froid, qu'importent la soif, les chacals et les hyènes, les troupes de gueux, le sable amer que recommence à transporter le vent, les agonisants sur le bord des chemins et les cadavres que vomit l'aube. Djambo suit aveuglément Sawant et ce qui me soutient, maintenant, mieux que les graines d'opium, c'est ce "Djambo" qu'il se répète à chaque pas. S'appeler Merveille, qu'est ce qu'il y a de mieux?
Dans l'épopée de Djambo, la naissances des premières communautés, la grandiose immolation des femmes, des hommes et des enfants de Khejarli, j'ai vu un miroir tendu aux angoisses de notre temps. Le message de Djambo, son approche rationnelle des rapports entre l'homme et la Nature, son refus du fatalisme, son appel à la responsabilité individuelle et collective m'ont paru d'une actualité et d'une urgence absolues. Certains de mots avaient plus de cinq siècles et j'avais l'impression de les avoir entendus le matin même. D'un jour à l'autre, il est devenu mon contemporain ; et de la même façon, à deux cent quatre-vingts ans de distance, j'ai vu en Amrita Devi ma soeur de planète.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, au Pays de la Mort, au détour d'un chemin, vous pouvez encore tomber sur un barde errant qui, entre deux légendes qui n'ont strictement rien à voir, vous dévide d'un seul trait le récit du séjour de Djambo à Bikaner, sa rencontre avec Udo, les intrigues de Binji et celles de Bika, enfin la tragédie qui s'en suivit. Djambo entre alors dans votre vie exactement comme Udo tomba sur lui : vous vous demandez ce qui vous arrive, si c'est le destin, ou le hasard qui vous veut quelque chose. Ou les dieux qui vous mènent, à votre insu, par le bout du nez.
LA FORÊT DES 29
De Irène Frain
Éditions "J'ai lu" - 479 pages -
Éditions "Michel Lafont" (2011) - 455 pages
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