Nous avions Claire et moi visités plus d'une cinquantaine de pays, mais aucun comme l'Inde ne nous provoquait ce sentiment de joie profonde. Au-delà de la beauté des monuments, d'architecture moghole le plus souvent, du dépaysement fort, comme un voyage dans le temps, de la présence permanente des animaux dans une communion si déroutante pour nous, je crois que nous aimions ce peuple avant toute autre chose, même si nous n’ignorions pas ce qui se cachait d'ignoble derrière la belle façade de l'hindouisme.
Le décès de Claire, a lancé Igor dans une phase d'autodestruction aidée par l'alcool et les médicaments. Après avoir déliré pendant des semaines, il a vendu la maison et l'affaire familiale et jeté des bennes entières de souvenirs. Puis il est parti, "pour en finir au bout du monde, libre de tout, ni crainte, ni désir, libre de cette liberté folle de celui qui n'a plus rien à perdre." Sa première halte est le Mali, l'Afrique éternelle. Pourquoi le Mali, il ne sait pas lui-même, vieux rêve d'enfant sans doute. Après quelques jours à barouder dans le pays, Igor s'enfuit pour éviter les problèmes. Adieu Mali-malheur. Bordeaux ne le retiendrait que quelques semaines, le temps nécessaire pour préparer une nouvelle destination, une nouvelle expédition en terre interdite, l'Iran. Mais l'Iran n'est pas prêt à accueillir Igor et lui fera payer lourdement sa curiosité. Igor se retrouve alors à nouveau à la case départ, Bordeaux, mais déjà un nouveau projet prend forme. Il veut retrouver cette indienne qu'il avait photographiée à Jaipur quelques années auparavant lors d'un long séjour au Rajasthan et qui ressemblait étrangement à Claire. Igor trouvera à travers l'Inde, un pays plus amène à l'accueillir et il pourra enfin laisser s'envoler, ses papillons noirs.
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En lisant les premières pages de "Les papillons noirs de Bénarès", je me suis demandée comment un roman avec un titre si évocateur m'emmène au Mali. Changement de latitudes, changement de continent, changement d'atmosphère, changement de culture, je suis quelque peu déboussolée. Mais pourtant, plus j'avance dans ma lecture, plus je suis saisie par la finesse des détails apportés par Bernard Manteau à son récit et plus j'apprécie. Je suis transportée. À peine, m'étais-je habituée au Mali, changement de cap et direction l'Iran, l'Iran des années 90, un "pays de cendres", un pays théocratique, où peu de voyageurs s'y aventuraient. Enfin retour vers une terre qui m'est plus familière, l'Inde. Fin du voyage pour le lecteur, fin de vie pour Igor. Comme de nombreuses personnes avant lui et de nombreuses personnes après lui, il finira son voyage terrestre à Bénarès. Bernard Manteau, auteur précédemment récompensé de prix littéraires, est un grand voyageur et a passé sa vie à sillonner le monde à découvrir l'essence même de la planète. Cette grande expérience "voyageuse" se ressent à travers les lignes de son roman et est indéniablement sa grande richesse. Lire "Les papillons noirs de Bénarès" offre un fabuleux voyage. Le journal d'Igor vous fera découvrir des contrées moins attirantes et pourtant regorgeant de merveilles, si l'on efface leurs côtés sombres. Il nous fait découvrir/re-découvrir l'Inde qui fascine, l'Inde mystérieuse, l'Inde qui attire à travers une région, le Rajasthan, et la ville mythique de Bénarès/Varanasi. Bernard Manteau n'hésite pas à nous faire le topo d'un monde en pleine évolution - les faits ayant eu lieu au début des années 1990 - une époque où le fanatisme religieux n'était qu'à son début. De nombreuses réflexions sur les religions parsèment son roman et nous permettent d'avoir des clés pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Pourtant, hormis ce côté roman voyageur, "Les papillons noirs de Bénarès", est l'histoire d'un homme Igor. Igor est un personnage téméraire qui porte en lui et depuis l'enfance le suicide de sa mère et les relations complexes avec son père. S'ajoutant à cela, le deuil de Claire, sa bien-aimée avec qui il avait vécu les plus belles décennies de sa vie, vingt ans où ils ont connu amour, voyage, relations intimes, ... C'est à intervalles réguliers, qu'Igor nous livre ses souvenirs, les plus joyeux mais également les plus douloureux. C'est donc un homme abattu que nous suivons, un homme complexe, jouant avec le feu et assez poissard. Pourtant l'Inde l'aidera à faire le deuil de son passé, elle le fera d'abord souffrir après lui apporter une parenthèse de bonheur. Puis Igor connaîtra enfin le bonheur simple, certes avec une sacrée dose d'alcool et de sexe. Il vivra les derniers instants de sa vie, heureux et aimé. "Les papillons noirs de Bénarès" offre une magnifique lecture et raviront ceux et celles qui s'y lanceront à corps perdu. C'est un roman peu connu et qui mériterait que l'on s'y attarde. L'écriture de Bernard Manteau est merveilleuse et son côté roman voyageur offre la magnificence à l'ensemble.
Sous les rayons du soleil, le sillage des bateaux laissait traîner de longs chapelets d'argent se dispersant dans les eaux du fleuve qui prenaient maintenant cette moire que font les déplacements de l'ombre et de la clarté au travers des nuages.
Les papillons noirs de Bénarès
De Bernard Manteau
Éditions Elytis - Date de parution : 4 juin 2015 - ISBN 978-2-35639-156-8 - 204 pages - Prix de vente au public (TTC) : 17 €
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