Chantal Jacquié est psychiatre et abonnée au blog. Elle s'est prêtée au jeu en apportant sa contribution à ce projet. Elle a eut la gentillesse de m'envoyer trois textes en me laissant carte blanche pour le choix de leur parution. Après la lecture de chacun des textes, je n'ai pas résisté à vous les partager, tous. Vous trouverez dans l'ordre un petit slam, une approche sur la psychiatrie en Inde et question(s) sur l'Inde. Même si celui sur la psychiatrie en Inde peut paraître long, prenez le temps de le lire car c'est un texte ou disons plutôt une analyse vraiment très intéressante sur la psychiatrie en Inde. Un sujet dont l'on ne connaît pas forcément le fonctionnement, sa place et comment elle est perçue en Inde. Je l'ai trouvé extrêmement bien écrit et assez complet, même s'il s'agit d'une ébauche d'après son auteur. Ces écrits restent bien évidement la propriété de son auteur, Chantal Jacquié, ils ont été ici publiés avec l'aimable autorisation de Chantal Jacquié et ne peuvent en aucun cas reproduit sans son autorisation. Je remercie sincèrement Chantal Jacquié pour sa généreuse participation au projet "Parlez-nous de vous - Tell us about yourself. Vous êtes bien évidemment tous invités à participer à ce projet. Très bonne lecture ! ॐ ॐ ॐ ॐ ॐ ॐ Un petit slam pour l'Inde incredible india. incredible incroyable pas crédible pas morale le vertige la voltige, les vestiges, de ce rêve rêve de soie et de soi, rêve de saveurs, de splendeur, rêve en chaleur torpeur, douleur sur la rue demi nus, les dalits font leur lits, les passants passent là, ils laissent quelques roupies, ils ne peuvent rien que ça touche moi pas .. ! touche ce rat cet emblème si bohème, cette vie si sacrée, pureté dans la saleté, impureté décidée si t’es né pas coiffé méditer, mériter, se sauver s’élever, dans cette société si étrangement castée, t’es le bras de Brahma, t’es le pied ….. c’est le karma…. Om shanti om….. superbe terre mystique, mirifique, idyllique et apocalyptique , quand donc donneras tu à ces gens qui te font tout l’amour qu’ils te donnent… ? quand donc aideras tu tes si superbes femmes à égaler les hommes ? je t’aime pays de vie d’espoir et de folie, de beauté inouïe, de profondeur de vie ... je t’aime mais j’ai si peur que gagne la terreur dans la confiance fragile de ces gens qui attendent tout d’un nouvel édile…. Modi est arrivé, mais ce n’est pas Zorro, derrière lui sont groupés toute une ligne de zéros… l’économie est reine , elle s’appuie sur la haine. de quoi faire exploser Gandhi et sa pureté, de quoi faire oublier ce qu’il a mis de graines o gens de l’inde qui si souvent nous avez fascinés , ne vous laissez pas détrôner, détrousser , de votre bel élan vers un monde de brigands.. oh inde ma belle inde, ma terre imaginaire ma terre extraordinaire… ma terre originaire de sagesse millénaire.. j’offre à tes dieux enfants tout un tas d’ornements, de remerciements, de grandioses sacrements..mais pas de renoncements… sur la fumée d’encens j’envoie vers toi le vent d’un soutien innocent mais très très exigeant….. ! om shanti om… incroyable pas croyable, incredible india ॐ ॐ ॐ ॐ ॐ ॐ La psychiatrie en Inde Ce n’est que tardivement que je me suis rendue pour la première fois en Inde. C’était il y a à peine 5 ans et depuis j’y ai fait 6 voyages. s’enchainant les uns aux autres par une curiosité et une perplexité jamais complètement élucidées. L’Inde si exotique nous semble cependant parfois plus proche que d’autres pays d’Asie. La mythologie indienne a-t-elle des liens avec la mythologie grecque qu’elle dépasse en imagination mais qui a imprégné beaucoup d’entre nous ? l’influence perse ? Le hindi issu du sanskrit , berceau des langues indo-européennes nous fait il parfois des clins d’oeil ? qui sait ? Et puis la Compagnie des Indes nous a, depuis des siècles, familiarisés avec des productions magnifiques qui ont aussi façonné nos goûts ? Et pourtant quand on croit avoir repéré une explication à une de ses nombreuses particularités culturelles, l’Inde se dérobe très vite, en affichant rapidement les éléments qui contredisent ce qu’on croyait avoir compris… tant ce pays est un paradoxe vivant et immense. Très ancien et très actuel. Très paisible et spirituel autant que violent, Immensément riche et fastueux tout en ayant une population très pauvre… Patriarcal avec des femmes exceptionnelles qui en jalonnent l’histoire, fasciné par le protocole et en même temps capable d’imaginer de multiples façons de le subvertir, spirituel et hyper pragmatique, chaleureux mais sans se toucher… ayant produit le Kama Sutra et étrangement prude … bref …. une énigme permanente, vivant à cheval sur plusieurs siècles en même temps et dans le même espace. Les indiens sont maîtres dans l’art de jongler avec toutes ces logiques.Et surtout ils débordent d’une énergie fascinante et d’une foi dans leur pays et leur culture que nous leur envions sans doute . Sudhir Kakar (psychanalyste à Goa) a une formule pour cela : il dit que "la culture indienne est une suspension plutôt qu’une solution". Ainsi après avoir voyagé et vu des choses magnifiques, j’avais le sentiment de ne pas parvenir à aller au delà de cette profusion de beauté faite pour séduire. J’avais souvent l’impression que mes questions semblaient bizarres (voire importunes) aux gens que je rencontrais (et qui avaient d’une façon ou d’une autre à voir avec le milieu du tourisme). J’avais aussi l’impression de ne pas pouvoir approcher des femmes (qui dans les cas les plus communs, ne travaillent pas dans les métiers en contact avec le public ou ne parlent pas anglais). J’ai donc décidé d’appendre le hindi pour essayer de trouver une autre façon de regarder et d’entendre. Il me paraissait évident qu’il fallait que je partage des choses plus proches du quotidien, du monde du travail, pour avoir une idée plus exacte des choses de la vie indienne. Psychiatre , je me suis demandée si mon métier pouvait être une façon de partager.. en étant évidemment quelque peu perplexe, car malgré mon initiation au hindi et mes lectures, je savais bien que j’étais encore très extérieure à cette culture. Mais après tout .. cette extériorité n’est elle pas (du moins chez nous) la position justement du thérapeute, lui permettant d’entendre le patient sans avoir d’a-priori ?? En cherchant à rencontrer des collègues indiens afin de leur poser la question, je suis entrée en contact avec le Dr Sunil Mittal, médecin psychiatre, de la même génération que moi (donc plus de 30 ans d’expérience) dirigeant un centre psychiatrique à New Delhi qui comprend des lits d’hospitalisation et une consultation externe. Je l’ai rencontré une première fois en 2015,et ai été accueillie très chaleureusement par lui même et son équipe J’avais alors pu assister à des consultations et eu des échanges sur nos préoccupations professionnelles respectives. Au bout de 3 jours, il a semblé possible que je vienne y passer plus de temps et participer davantage au travail de l’équipe soignante. C’est ainsi que nous primes date, et que le 1er novembre 2016 je suis venue pour un mois dans le centre qu’il dirige: le CIMBS (sous-titre : Peace of Mind). Je tiens toutefois à préciser d’entrée de jeu que je vais parler là de ce que j’ai pu observer et cru repérer dans cette expérience, et que par contre je n’ai pas de compétences spécifiques notamment sociologiques philosophiques ou religieuses. Donc de nombreuses constatations et début d’explications auraient besoin d’être confirmées et surtout approfondies si on souhaite en savoir plus, tant cette question est passionnante et renvoie à une histoire riche et complexe, qui ne peut tenir dans un article de quelques pages. Le CIMBS Cela signifie "Cosmos Institute for Mental health and Behavioral Sciences". C’est le centre de soins psychiatriques que dirige depuis de nombreuses années (presque 30 ans) le Dr Mittal et qui comprend un centre de consultation et deux petits lieus d’hospitalisation (admissions et moyen séjour). Dans le nom du centre se trouve déjà un certain nombre d’éléments situant l’axe de la pratique : Cosmos, Peace of mind… sont des signifiants élémentaires en Inde où l’idée d’une approche globale, holistique est la tradition (cf médecine ayurvédique) et où la spiritualité est nécessairement présente dans tous les aspects de la vie. L’harmonie et l’équilibre cosmiques sont des composantes fondamentales de la vie humaine pour la pensée indienne au sens large. Nous verrons plus précisément par la suite comment cela se traduit. Cet intitulé est d’ailleurs assez sobre si on le compare à certains autres. En effet en Inde, comme dans de nombreux pays, la publicité pour un médecin ou une clinique n’est pas interdite, et donc les slogans vont avec. Cependant le CIMBS est un lieu parfaitement médical dans son fonctionnement, et son éthique, et n’a rien d’un ashram. Le Dr Mittal ne diffuse pas non plus ses photos comme font traditionnellement les gurus ... iI n’y a aucun autel à Ganesh Shiva Vishnu ou autre divinité .. il n’y a même aucune référence religieuse inscrite dans ce lieu.. qui est d’ailleurs aussi fréquenté par des musulmans ou des patients d’autres religions. Et pourtant les grands axes de la culture et la pensée indiennes sont de toutes façons présents (comment pourrait il en être autrement ?) et respectés. Il en serait ainsi de toute autre approche religieuse, car la tradition de tolérance spirituelle de la culture indienne est prévalente. D‘ailleurs sa constitution définit l’Inde comme un état «séculariste» …sinon laïc. Ce mot est plus conforme à la religiosité qui en imprègne la vie, sans préciser d’ailleurs la religion, Même après la dramatique partition qui a fait suite à l’indépendance, regroupant majoritairement les hindous en inde et les musulmans au Pakistan (grossièrement), le gouvernement indien ne saurait se substituer, ou représenter officiellement une autorité religieuse. Jusqu’à présent du moins. Revenons au CIMBS L’orientation affichée et effectivement majoritaire dans ce centre est le Behaviorisme. théorisé et évalué en occident (Californie )… notamment chez les anglo-saxons, et dominant en Inde (malgré la présence d’une école de psychanalyse très ancienne). Bose, psychanalyste bengali, a correspondu avec Freud (il contestait par contre la primauté de l’oedipe) et Jones a participé avec lui dans les années 20 à la création de la Société Psychanalytique Indienne. Sunil Mittal lui même, qui a été formé en Inde à l’université de New Delhi, a également une culture psychanalytique, et est parfaitement à l’aise dans une discussion clinique (que nous avons eu l’occasion d’avoir) avec les concepts et les approches psychanalytiques et aussi tout ce qu’on appelle plus largement la psychiatrie psychodynamique. Il aime à rappeler que dans les textes sacrés les plus anciens de la civilisation indienne il est fait mention de 3 états de l’être, et que l’inconscient était déjà une notion présente (avec un contenu différent, beaucoup plus cosmique, loin du subjectif, plus ou moins à l’origine de la notion jungienne d’inconscient collectif). Mais le choix des TCC est aujourd’hui une évidence et surtout un choix pragmatique et que nous serions mal placés pour remettre en cause. Au dernier recensement, l’Inde compterait aux environs de 3000 psychiatres, pour une population qui avoisine le milliard et demi (pour info en France on est au dessus de 10 000 pour 66 millions d’habitants). Les problèmes psychiatriques sont encore actuellement très majoritairement traités par la religion. Ils sont aussi très tabou et les demandes spontanées de soin sont extrêmement minoritaires dans ce domaine. On ne veut surtout pas que les autres sachent, on dissimule les pathologies psychiatriques lors des mariages, aux employeurs, aux amis etc … Les suicides sont tout de même assez nombreux, et les situations de souffrance psychique ne manquent pas (que ce soit pour des raisons extérieures ou internes). Sunil Mittal se définit comme un "mental health warrior", et il invite son équipe et même les patients qui ont réussi à s’en sortir, à être en quelque sorte des militants de cette cause. En effet, il essaie de s’exprimer par voie de presse à chaque fois que l’actualité nationale ou internationale peut suggérer un questionnement sur la souffrance psychique et aussi aboutir à une plus grande sensibilisation sociale et politique. Alors cet axe est essentiel dans la stratégie du CIMBS. Et pour dédiaboliser la maladie mentale il faut beaucoup de pédagogie : de rationalisation, de dédramatisation, ... L’idée d’une éducation à cette problématique est une sorte de nécessité. D’ailleurs n’avons nous pas nous aussi diffusé les concepts majeurs de la psychanalyse même si Freud y était opposé ? (cf les résistances que ne manque pas de générer la vulgarisation). Si la psychanalyse pure ne peut s’y reconnaitre, il y a nombre de névrosés, d’enfants en difficulté et de personnes qui n’auraient jamais consulté sans cela. A l’heure d’internet la question ne se pose d’ailleurs plus. Mais ce qui manque surtout est comment digérer et appliquer ces informations qui ne sont quand même pas des recettes de cuisine…. C’est un peu l’orientation du CIMBS. Rappelons aussi qu’il s’agit d’un centre privé et indépendant. Et que malheureusement ce genre d’approche est aussi un luxe. En effet le temps consacré à chaque patient y est très correct , la fréquence des rendez vous et la durée des hospitalisations également. Un bref passage dans l’hôpital universitaire public m’a permis de constater que les files d’attente de plus de 50 mètres dans le couloir pour une consultation psychiatrique ne permettent probablement pas d’envisager une consultation psychothérapique où seraient évoquées l’anamnèse du patient et l’histoire de la maladie, ni même de programmer des suivis rapprochés. Le psychiatre y est une sorte d’expert qui, quelque soit sa vocation et son intérêt, ne peut pas approfondir la plupart des cas.Il essaie de diagnostiquer au plus juste (CIM à l’appui), il prescrit, il traite le symptôme le plus rapidement possible ... De toute façon, tout suivi éventuel sera confié à des psychologues formés pour cela (c’est le cas au CIMBS également) qui géreront ce qui leur est possible de gérer et d ‘accompagner, en ayant de toutes façons recours à des outils comme les tests (outil d’évaluation et non outil thérapeutique évidemment) mais aussi à des entretiens. Les tests sont garants d’une sorte de "scientificité" et d’objectivité et ils permettent aussi sans nul doute d’exprimer certaines choses qui, en direct, nécessiteraient de multiples séances d’approche. Ils peuvent court circuiter aussi le face à face quand il est trop difficile, et permettent en outre de "mesurer" des évolutions. Sans que jamais effectivement ils n’offrent l’intérêt d’une relation interpersonnelle. Cependant on peut se dire que, compte tenu de la charge, ce temps de réponse au test et de lecture des résultats à minima , laisse là une part, infime peut être, mais non négligeable, à des vécus qui ne seraient de toutes façons pas exprimables dans le détail autrement (et à la première personne). En Inde également des groupes de self helpers (groupes dits de "pairs aidant") se font jour. Où des patients, surtout dans le domaine de la bipolarité ou des addictions, participent à la sensibilisation et s’engagent non sans courage dans cette campagne de dédramatisation de la maladie mentale. Cela suppose donc une démarche d’empowerment des patients qui est un objectif très présent et qui repose donc aussi sur ce que nous autre français avons du mal à conceptualiser : la notion de recovery. Ceci est effectivement inspiré des concepts anglo saxons , mais particulièrement adapté au cas indien où le collectif est la règle. Je viens de décrire là une approche pragmatique applicable à la notion de masse et non plus de personne. Elle a cette utilité. Mais là encore des lieus comme le CIMBS, pour une patientèle privilégiée, permettent de prendre un autre temps pour travailler les choses. Au passage je mentionnerai qu’il y a là une équipe étoffée avec 4 psychiatres et 5 psychologues cliniciens (et 3 assistants psychologues). Avant de passer à la description d’une journée de travail dans la structure, je voudrais également parler de la notion de guru un peu effleurée auparavant. En Inde toute personne se doit d’avoir un guru… un maitre à penser, un grand autre, un directeur de conscience , bref un guide qui est en principe spirituel mais peut avoir parfois un pouvoir extrêmement large. L’indépendance d’esprit à la française est ici une sorte de non sens tout comme la liberté individuelle … Lorsque j’essaie de décrire ma pratique à des amis indiens ils me demandent perplexes : "alors quelle genre de comportement préconisez-vous dans telle ou telle circonstance ? quelle est la teneur de vos conseils ?" Le principe de neutralité et de non interventionnisme qui est un peu notre marque est incompréhensible pour un indien (sauf s’il a été formé à des points de vue occidentaux). Les gurus peuvent être très différents dans leur discours même s’ils se référent en général aux vedantas, upanishad et à leur interprétations. Ils peuvent être très directifs, trancher sur le bien et le mal .. mais ils peuvent être aussi être des personnages socratiques selon qu’ils sont davantage enclins à prêcher l’humilité, la tolérance, le non savoir, le refus du pouvoir, etc.. mais aussi parfois de vrais business men. Tout est possible. On est frappés par le nombre d’indiens (de classe moyenne) qui essaient d‘assister à des conférences régulières (mensuelles parfois ou même hebdomadaires) tenues par leur gurus. Les indiens semblent passionnés de métaphysique ! Le lieu du guru est l’ashram et non pas le temple. Au temple on prie et on fait les offrandes et les prières. Le prêtre est un brahman et tient sa fonction de sa caste et de sa famille, il est marié et rémunéré par les cérémonies et prières où il officie. Le guru est fait par ses disciples ou son maitre. Il est supposé avoir fait un cheminement spirituel et s’être détaché de la vie matérielle. Il provoque réellement un transfert. Il est célibataire et a dédié spontanément sa vie à la quête spirituelle. Il professe son enseignement dans un ashram où l’on vit selon les préceptes de pureté et l’éthique qu’il enseigne. En général il y a un temple dans l’ashram également. A l’ashram il y a les disciples qui peuvent y vivre un peu comme des moines, mais aussi des disciples au sens plus large qui viennent régulièrement y suivre l’enseignement . Il y a aussi une présence très importante des gurus les plus connus dans les médias (télé, journaux, ...) des placards publicitaires, des salles remplies. On pourrait considérer chaque guru comme centre d’une secte. Mais tout converge vers les grands textes de la spiritualité indienne qu’il interprète et décrypte. Ils prescrivent l’alimentation, les relations entre les gens, les mariages, les tendances politiques (à mot couverts), les décisions de justice, la façon de se situer dans les évolutions de la société et évidemment la morale ou l’éthique personnelle. Comment respecter le dharma qui est le devoir fondamental de chacun, et dont l’'observance modèlera le karma et les réincarnations ultérieures etc…. Un exemple connu de guidance est Krishna qui , dans ce texte extrêmement connu de la Bhagavad Gita, guide Arjun dans une bataille qui est un véritable conflit de loyauté, et qui contient en quelque sorte un résumé de toutes les guerres et de tous les dilemmes. Il lui enjoint de faire table rase de ses émotions et affects en gardant le cap du devoir qui est le sien … alors même qu’il est bouleversé par un combat fratricide. Cette notion est centrale et même, à ma grande surprise, souvent évoquée y compris dans les groupes de patients. C’est une sorte de façon d’arbitrer les conflits d’intérêt dont tout un chacun peut être le siège et de parvenir à faire des choix difficiles. Donc le guru est un personnage central dans la société indienne même s’il n’a aucun statut officiel (au sens administratif). Cela explique un certain nombre de choses qui régissent cette société et notamment comment la question de la responsabilité y est abordée de façon très différente sans être pour autant absente. Le psychiatre ne peut pas faire moins qu’un guru…… sauf à se priver de la confiance et du transfert sur quoi tout ceci repose. Il est amené à non pas refuser mais accepter le rôle de "maitre à penser" contrairement à la psychiatrie occidentale. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’annonce comme tel, ni qu’il travaille en ashram. Mais inévitablement il va rentrer à un moment ou un autre dans ce rôle, d’une certaine façon. Sinon le patient indien ou sa famille seront dans un doute profond sur sa pertinence et sa fiabilité. Autrement dit, si on est compétent on doit savoir ce qui est bon pour l’autre et lui faire connaitre. La neutralité des psychiatres occidentaux, leur distance vis à vis des problèmes familiaux ou d’entourage, etc .. comme le respect strict de la confidentialité, sont considérés comme très exotiques et étranges finalement au regard des pratiques psychothérapiques indiennes inspirées de la tradition et intégrée à l’organisation sociale. Par exemple chaque matin dans l’unité d’hospitalisation du CIMBS a lieu "la visite" un peu comme chez nous dans les services de médecine classiques. Le psychiatre passe donc en revue chaque patient, il est accompagné de l’équipe des psychologues qui ont en charge également les patients, de l’infirmière et d’éventuels étudiants. Chacun est en blouse. On fait le point de la situation et de l’évolution de chaque patient qui est amené à s’exprimer lui même sur ce qu’il perçoit. Ceci est donc tout à fait "collectif", en présence des autres patients et de tout le personnel. En tous cas on est loin du colloque singulier (qui va être possible dans un autre temps). On prend ainsi des décisions à la suite d’un échange avec le psychiatre qui va à ce moment prendre, selon sa sensibilité , certaines positions. Ainsi Sameer, jeune psychiatre passionné de neurobiologie et de biochimie va expliquer au patient ce qui se passe dans ses neurones et ses neurotransmetteurs et pourquoi il est nécessaire qu’il adhère au traitement. En l’écoutant on peut faire un parallèle avec le traitement d’un diabète par exemple. Shobhana va davantage insister sur la prise de conscience par le patient de ses troubles et tenter de le convaincre que sans participation de sa part, on ne trouvera pas d’issue réelle à ses problèmes. Elle en appelle à ses valeurs et à sa raison tout en le rassurant sur son droit à la maladie. L’un et l’autre illustre assez bien le coté à la fois éducatif et surtout mettant en avant le médical strict du traitement psychiatrique. Il en va de la reconnaissance de la maladie mentale comme d’une maladie, donc de son traitement par un discours médical bien représenté et rationnel. Cet enjeu est très important pour que la confiance s’installe, car tout est à faire dans ce domaine, en tous cas pour les nouveaux patients. On remarquera par ailleurs que la façon d’arriver à l’hôpital , est très différente de la réalité française et occidentale. Il n’y a, y compris au CIMBS, que de très peu de patients venant de leur propre chef. Ils sont amenés généralement par leur famille . On est quasi systématiquement dans un dispositif d’hospitalisation à la demande d’un tiers, et d’ailleurs le CIMBS a un agrément à cet effet comme le prévoit la loi indienne, sans lequel d’ailleurs aucun lieu d’hospitalisation ne peut fonctionner. Dans le dossier d’admission figurent donc la demande du tiers et un certificat médical d’entrée qui en confirme la nécessité. Il y a un recours possible avec un psychiatre extérieur à l’établissement en cas de problème. Mais ceci ne pourrait être appliqué comme chez nous de façon automatique faute de praticiens en nombre suffisant tout simplement. La famille a donc un rôle majeur et dans l’entrée et dans la sortie du patient, et donc sur l’objectif attendu des soins. Elle sera associée à chaque fois que possible. Des entretiens familiaux sont réalisés… ils peuvent être également téléphoniques. D’ailleurs il existe aussi des suivis via Skype avec certains psychologues. En effet les patients peuvent venir de Delhi, mais aussi de toute autre région . J’y ai même rencontré des patients venant du Bhoutan, de Bangalore, du Cachemire, d’Assam. Les proches doivent ainsi faire des trajets dès longs en train ou en avion pour venir. Et certains patients qui enchaineront sur des prises en charge de jour logeront pendant quelques semaines dans des pensions ou hôtels proches s’ils n’ont pas de famille sur Delhi. Ainsi cette réalité amène à fonctionner très différemment et les moyens de communication internet ne sont pas négligeables (moyennant quelques précautions de procédure tout de même). Qu’est ce qui fait que la famille va demander une hospitalisation ? Comme chez nous c’est souvent une situation de crise ou de passage à l’acte. Cependant il est frappant de constater qu’il y a une grande majorité d’états qualifiés de maniaques si on compare avec les hospitalisations pour dépression. L’état dépressif semble être beaucoup mieux toléré socialement ou familialement .Il ne représente pas la majorité des adresses . Evidemment les diagnostics de bipolarité sont nombreux ( comme partout .. posant les même questions.!) et puis viennent les décompensations délirantes de type schizophrénique et les conduites addictives ( surtout cannabis et alcool )quelques TOC également mais qui renvoient à des problématiques psychotiques sous jacentes .Ceci pour les adresses les plus fréquentes . II peut évidemment y en avoir bien d’autres, et aussi ,comme partout, des sujets posant des problèmes de diagnostic différentiel et non conformes à un tableau clinique type. Les patients chroniques sont peu nombreux et surtout évidemment l’observation en est biaisée par le cout de l’hospitalisation y compris de jour Ceci suppose que la famille ait recours à d’autres systèmes. Au niveau prescription il n’y a pas de différence dans l’usage des médicaments, si ce n’est peut être une prescription fréquente me semble t il de vitamines (liée peut être à la notion d’hygiène de vie mais peu justifiée par une dénutrition compte tenu du recrutement de la plupart des patients) et beaucoup moins de correcteurs. (j’avais remarqué cela en Angleterre déjà dans le passé). Certains patients ne viennent pas nécessairement de classes très aisées,(je n’ai pas eu le temps ni la possibilité de creuser tous les modes de financement) mais ils ont au moins une couverture assurantielle suffisamment correcte pour pouvoir leur faire bénéficier de ce type de soin. (fonctionnaire par exemple). Il existe une forme de « sécurité sociale » ainsi que des mutuelles en Inde, mais pas aussi généralisée ni surtout obligatoire que celle que nous connaissons. Au CIMBS on pratique aussi la SMT (stimulation magnétique transcrannienne) voire parfois des ECT. Et parallèlement à cela il y a aussi des séances de yoga dans les deux unités d’hospitalisation chaque jour (plutôt le matin). J’ai surtout passé du temps dans les unités d’hospitalisation et les entretiens avec les psychologues y sont assez fréquents , toujours dans une optique de rééducation cognitive comportementale . Ensuite les suivis en ambulatoire sont aussi d’une fréquence relativement comparable à ce que l’on trouve en France actuellement (de l’ordre du mensuel ….). Il est temps de décrire rapidement ces lieus . En effet le CIMBS s’est établi sur deux espaces qui sont -une grande maison de 2 étages , située sur une grand axe très animé de Delhi Est ( Vikas Marg ) - et un grand appartement situé non loin de là situé lui aussi sur 2 étages dans une rue voisine Dans le premier lieu baptisé DPC ( delhi psychiatric center ), on trouve au rez de chaussée et au premier étage les consultations et bureaux divers ainsi qu’une salle de réunion. Et au 2eme étage se trouve une unité d’hospitalisation d’environ 15 lits qui correspond à l’unité d’admission . Dans le 2eme lieu, baptisé Sahil (oasis), se trouve l’unité de moyen séjour et également des bureaux . La capacité est d’environ de 10 lits , par contre il y a un accueil de jour très variable suivant les moments, les patients étant de toutes façons rassemblés autour d’activités communes . Hormis dans l’unité d’admission , il y a peu de chambres particulières . En effet les indiens n’aiment pas beaucoup dormir seuls et il n’y a pas semble t il de demande particulière dans ce sens. Dans l’unité d’admission j’ai pu constater une fois la présence du mari aux cotés de sa femme logé dans la même chambre. Cependant contrairement à ce qui peut se pratiquer dans d’autres lieus, où la famille peut prendre en charge les choses du quotidien, cela n’est pas réellement fréquent au CIMBS. Les patients sont nourris par des petites cuisines qui se trouvent sur place dans chacun des lieus (cuisine végétarienne car plus consensuelle) .. on y fait aussi régulièrement le Tchai à toute heure de la journée, le tea time étant un moment sacré pour chacun . Malgré le coté médical très important, on remarque que ces lieus sont loin d’être aussi aseptisés que chez nous.Les rideaux des fenêtres, les lits, les fauteuils ne ressemblent pas à du mobilier médical (sauf certains) ce sont sans doute des meubles qui étaient dans ces maisons auparavant. Sahil notamment est visiblement un ancien appartement bourgeois avec lustre et boiseries qui ont été gardés. Des canapés très confortables ainsi que des fauteuils profonds sont installés dans la pièce commune ainsi qu’une grande table et un buffet de salle à manger. On se sent dans une maison plutôt que dans un hôpital et cela donne une atmosphère de lieu de vie qui est assez chaleureuse. En ce qui concerne l’organisation des activités La participation y est fortement incitative mais elles ne sont pas absolument obligatoires . Le yoga évidemment chaque matin ,puis d’autres activités au long de la journée Elles alternent des exercices de concentration, (via des activités manuelles ou physiques) , des groupes de paroles et de réflexion et aussi de lectures collectives . Les activités extérieures sont très rares et jamais en groupe.. en effet la circulation dense et désordonnée de Delhi ne permet pas de sortir en groupe de ce lieu en toute sécurité… on se contentera de regarder la vie du haut de la terrasse à certains moments choisis. Ce sont en principe des « assistants psychologues « qui animent ces activités . Parfois aussi Malaika qui est une patiente en anime aussi. Elle prépare avec beaucoup de soin des powerpoint pour expliquer un thème et lancer un débat.. (que ce soit sur la pollution, le stress, la peur , la solitude etc etc ) et est aussi très créative pour imaginer des créations collectives artistiques ( qui ne sont pas toujours achevées, mais ont le mérite de montrer ce qu’on peut faire avec peu de moyens et un peu d’efforts, à condition d’être « collectif » ) Malaika est une jeune femme, qui a fait des études et a voyagé, Elle vit dans une famille plutôt intellectuelle et est bipolaire..elle a une âme de militante et pour le moment consacre beaucoup de temps à ces journées à Sahil en attendant son prochain projet… ! C’est typiquement une « mental health warrior » Du haut de ses 25 ans elle sait mener un groupe .et cet engagement est aussi thérapeutique pour elle. Bel exemple d’empowerment …! Tohï, lui est assistant psychologue et partage son temps entre Sahil et des consultations dans un autre centre. Je crois qu’il est d’origine népalaise mais nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour échanger car il est parfois débordé. Il aime proposer des jeux de rôles et des exercices de concentration . Une troisième personne qui invariablement tous les jours est présente quoiqu’il arrive , et assure une sorte de permanence apaisante très appréciée à Sahil. C’est Neil Paul, un personnage atypique, qui a fait sur le tard des études de psychologie aux Etats-Unis ( Columbia ) après un moment difficile de sa vie. Bien que « très professionnel » il se positionne comme un « ancien patient » et ne cache pas son passé sans non plus l’étaler. Il travaille depuis plusieurs années au CIMBS et ce travail a autant de sens pour lui que pour les patients selon ses dires. Il vient très souvent avec des textes à lire, de préférence d’inspiration bouddhiste ou du moins philosophique tournant beaucoup autour de la paix intérieure du lâcher prise…. il fait participer à la lecture chacun des patients qui doit ensuite reformuler en hindi ce qu’il a lu en anglais. Mais cela peut être aussi autour de toutes sortes d’écrits.Ses ateliers ont énormément de succès, notamment auprès des jeunes. Il s’en dégage une bienveillance rassurante et aussi l’idée que chacun a quelque chose d’intéressant à partager. Il lui arrive aussi de demander des périodes de silence absolu de 15 voire 30mn , qui sont en quelque sorte ,sans le dire , des propositions de méditation. Bien sûr certains ne parviennent pas à y être actifs ou à se poser, mais ils tournent autour..et tôt ou tard se posent pour participer , en général accueillis par des manifestations de joie des participants présents… tout ceci est rythmé par le Tchai . Neil est quelqu’un de précieux et il propose quelque chose qui correspond à ce dont lui même a eu et a besoin pour prendre du recul. Simplement il le partage. Si quelqu’un est de mauvaise humeur ou critique… on attend la fin de l’orage . Neil est aussi très curieux des positions occidentales et des points de vue sur certains problèmes . Il peut inclure ce genre de discussion dans son atelier en ma présence…. c’est une sorte d’atelier philo quotidien et parfois d’anciens patients passent pour y participer ,car cela leur fait du bien…et ils viennent en quelque sorte « soutenir » Niel….….Mais Neil ne veut pas être un guru …! Des questions cliniques vont surgir au fur et à mesure que je multiplie les entretiens et les contacts avec certains patients notamment à Sahil. Il vont rapidement faire apparaitre que notre vision occidentale de l’autonomie n’est pas transposable directement en Inde. En effet plusieurs jeunes patients de Sahil parlent de leurs conflits familiaux, de leurs projets ,de leur vie quotidienne. Ils expriment tous d’une façon ou d’une autre le poids très lourd des attentes familiales et la révolte que cela peut générer en eux (à tort ou à raison peu importe). Notre premier réflexe serait sans doute, devant un jeune de 23 ans qui étouffe et qui a envie de réaliser certains projets, de lui suggérer de se donner les moyens et de prendre quelques distance vis à vis de cette famille peut être un peu trop protectrice . Mais on constate vite que socialement un tel jeune serait probablement vite marginalisé; voire en danger (surtout si c’est une fille) ..mais surtout que malgré l’intensité de la révolte, ils ne souhaitent absolument pas, sauf sur des coups de têtes, très fugaces, quitter la famille. Et l’hospitalisation servira aussi souvent à rétablir un dialogue interrompu entre la famille et le patient. en donnant à la famille des clés pour comprendre et en donnant au patient des éléments pour prendre du recul et reconnaitre ce qui fonctionne bien malgré tout dans sa vie. C’est une sorte de « traitement moral » au fond….. mais aller à l’encontre de ça c’est exposer le patient à une vie extrêmement difficile voire suicidaire. Il n’y a que les parias et les orphelins qui vivent hors famille , ainsi que les sadhus ( ces ermites mystiques qui sillonner l’Inde en ayant renoncé à tout. Ils sont de fait assez nombreux et très respectés mais c’est parfois une forme de psychose incarnée et acceptée socialement car sacrée). J’ai été très surprise par contre de la grande liberté d’une vieille patiente de 76 ans, veuve, suivie depuis son plus jeune âge, ayant elle aussi des démêlés avec sa famille (enfants) mais ayant réussi à établir ,de par sa position d’hospitalisée , un rapport de force assez intéressant. On peut penser qu’elle n’avait plus grand chose à perdre. Mais surtout elle avait une parole très personnelle et singulière non dépourvue d’humour qui en faisait quelqu’un de très attachant. Ainsi on ne transpose pas ses idéaux. L’écoute de ces jeunes patients (et des moins jeunes aussi ) traduit surtout le clivage particulier dans cette culture sur la part de soi et la part de l’autre, clivage que nous connaissons nous aussi mais sous un autre angle.` Par contre la famille ici est un vrai corps dont chacun n’est finalement qu’une partie. On ne peut pas vivre heureux en amputant sa famille de quelque chose. On ne peut pas concevoir le bonheur hors de cette famille ce qui signifie aussi hors de la tradition (qui va être plus ou moins rigide selon les milieux) et surtout en renonçant à une certaine idée du destin. Si on s’en éloigne non seulement on part pour une grande aventure ,mais en plus on signe l’échec et le déshonneur des valeurs familiales , ce qui n’est pas facile à assumer en période de fragilité. L’exil aux Etats-Unis pour études ,outre les avantages matériels, fait peut être aussi parfois partie de la solution…. La question de l’autonomie du sujet est le vrai point de rupture entre nos deux approches. Pour nous elle est une finalité, pour l’indien moyen elle est une aberration. Toutefois, comme je ‘l’indiquais au début… dans les thérapies traditionnelles on va trouver aussi l’élément contradictoire qui va se rapprocher de notre conception: c’est la méditation. La méditation s’apprend, avec un maitre. Mais un des buts de la méditation est de se passer du maitre, d’être totalement autonome, de ne subir aucune influence…dont le regard de l’autre … Ceci pour conclure sur les incroyables paradoxes des concepts à l’oeuvre et qui donc devraient se rejoindre à un moment, ou s’équilibrer suivant une logique qui ne nous est pas familière. Lors du Congrès de l’Association internationale de Psychiatrie Sociale qui se trouvait avoir lieu à le fin de mon séjour à Delhi, un tradipraticien a rappelé que, contrairement à ce que l’on pense en occident , la méditation n’amène pas le bonheur, elle amène juste une forme de "vérité" ou un état qui permet de trouver la paix, de se déprendre de ce qui fait souffrir (ce qui inclue la question du désir dans l’approche indienne)… Ce congrès m’a amenée à rencontrer des psychiatres indiens qui témoignaient de leurs pratiques traditionnelles. Mais aussi des psychiatres d’autres pays dont les témoignages m’ont fait beaucoup réfléchir à notre positionnement français, repéré et connu comme très spécifique. Je voudrais donc conclure ce récit témoignage avec certaines questions : Celles sur la société indienne que j’ai donc pu approcher davantage mais sans pouvoir en connaître ou relayer toutes les analyses beaucoup plus approfondies et poussées qui existent. Mais aussi celles sur notre façon de situer notre pratique psychiatrique dans un monde hyper cloisonné et hyperindividualisé. En effet la question de la pensée positive m’a interpellée à travers cette optique de l’empowerment de réhabilitation et de recovery qui sont un peu chez nous des gros mots. Tom Claig l’ex président de la WASP a fait une intervention entre autres, où il expliquait qu’en Angleterre 90 % des hôpitaux de jour étaient en train de fermer. Interloquée et inquiète sur ce que cela signifiait, j’ai été amenée à en parler dans une conversation avec un collègue américain. Celui ci (dont je m’excuse de ne pas pouvoir mentionner le nom, car il m’échappe) semblait beaucoup moins choqué que moi et il me dit en substance ceci : "C’est vrai que 90% des hôpitaux de jours ferment. Cependant ils ne fonctionnaient plus car une grande partie des patients qui les fréquentaient y étaient depuis des années et bloquaient des places qui n’étaient donc pas utilisables pour des patients plus récents . Or tout ceci avait un cout et l’offre de soins diminuait donc …". Il m’expliqua alors que la seule solution permettant à la fois de ne pas négliger les patients de long terme et d’accueillir des nouveaux patients résidait dans les "community center" qui existent donc en Angleterre et aux Etats Unis notamment. Il me semble avoir compris que ce genre de lieus étaient plus assimilables à des lieus de vie (sans hébergement) financés par les états et animés par des soignants, des patients, des familles et des citoyens intéressés. On retrouve la démarche d’empowerment de patients ou de gens de la société civile actifs vis à vis de la maladie mentale, vécue comme problème de société, avec une dimension d’implication citoyenne. Cela me faisant penser à la création des CLSM , il me dit qu’effectivement il connaissait bien le Dr Rollland qui promeut cette idée en France. Et alors dans un éclat de rire il me dit avoir assisté à Lille à un échange extrêmement "français" dans son essence, car il ne pouvait être question d’inscrire le concept de recovery ou sa traduction, car son origine anglo saxonne en faisait un outil inutilisable…. Ce collègue a par ailleurs une vraie tendresse et une vraie fascination pour la France et ne saurait être taxé de sentiments négatifs. Cette réflexion m’a beaucoup questionnée et me questionne encore sur la façon de situer ce qu’est la maladie mentale hors d’une fatalité, et surtout si on se donne pour objectif de la sortir d’un ghetto. Sans vouloir plaider pour une pratique un peu simplificatrice, j’ai pensé que nous avions à apprendre de tout cela, en tant que psychiatres dans un climat social clivant et qui renforce la peur de l’autre. Et il me semble, que même s’ils ne sont pas encore arrivés et sont loin d’avoir une offre de soin en santé mentale suffisante et correcte à l’échelle de leur population, les indiens ont cet avantage de devoir inventer mais aussi intégrer tout ce qui peut être utile et fonctionner pour tenter de donner une réponse humaine et médicale à cette question (ils n’ont pas de problème avec le métissage des concepts). Nous avons vu que nous n’avons pas la même notion de ce qu’est l’aboutissement d’une thérapie ou de soins, cependant nous avons au moins tous en commun cette responsabilité particulière de recevoir la souffrance psychique, de l’apaiser, la soigner et donner au patient dans l’après coup des outils pour continuer au mieux dans sa vie. Cette notion a un contenu qui va varier en fonction des contextes culturels mais elle fait que nous arrivons à parler un langage commun dans certaines dimensions et à accepter nos différences comme autant de facettes de l’être. ॐ ॐ ॐ ॐ ॐ ॐ Question(s) sur l'Inde Après avoir approché de façon un peu quotidienne la pratique psychiatrique indienne et avoir lu et entendu des interviews de psys de culture arabe ou asiatique, il apparait que la conception occidentale du sujet ne peut être transposée telle quelle. Il ne s’agit pas de dire que le sujet n’existerait pas dans d’autres cultures évidemment, mais que le rapport du sujet et du collectif peut être très différent, surtout que le sujet se dit autrement. Il s’ensuit une pratique qui si elle se calque sur des modes occidentaux ne colle pas avec la possibilité de l’épanouissement dans ce contexte. Par-delà tout cela il y a une vérité intime, un inconscient, des fantasmes, des désirs, des symptômes dans toutes les cas. Ce qui change ce sont les conditions pour être en cohérence, la prévalence de ‘l’individu ou pas, la question du narcissisme aussi et le sens du mot liberté, la notion même de la vie. Peut-être que simplement pour le sujet occidental la nécessité de se défaire du désir de l’autre et de parvenir à accepter son existence, la problématique séparation/aliénation va se faire dans un cheminement très différent et où l’individu a une sorte d’horizon théorique hors groupe et hors influence. Il faut un long travail pour accepter l’héritage de l’histoire familiale, la dépendance, la loi. On a l’impression qu’un indien par exemple n’a pas à faire le même chemin. Il n’a pas réellement semble-t-il le fantasme de se passer de ‘l’autre et de couper certaines dépendances. Elles font par définition partie de lui et de la vie. Il peut se rebeller contre la famille mais les issues seront très complexes et souvent il s’agit de renégocier son espace et sa marge de manœuvre. Mais cela ne se fera pas dans le secret et hors contexte…. Il faudrait peut-être pouvoir interroger des êtres solitaires qui sont rares en Inde. Le libre arbitre est une fiction qui semble bien étrange et surréaliste à un sujet indien qui se sait et s’accepte aliéner. Par contre les symptômes laissant entrevoir que les conflits de loyauté sont fréquents car on avoir à choisir entre deux appartenances, deux dépendances etc. En ce qui concerne les femmes, je n’ai pas eu l’occasion de pourvoir approfondir le problème de la rupture du lien qui dans la société traditionnelle avait très souvent lieu avec la famille d‘origine pour être remplacée par celle de la belle famille. Et quelque part pour le sujet indien le sens de sa vie ne se limite pas à cette vie actuelle mais à la cohérence de ses différentes réincarnations. Sachant que le sujet est surtout l’enjeu d’une éthique. A noter qu’en hindi il n’y a pas moi et je. Il n’y a qu’un seul mot qui est moi. De la même façon le verbe avoir n’existe pas et au lieu de dire j’ai une maison, on dira une maison est mienne. Cette façon de situer le sujet comme « passif » en quelque sorte, se voit aussi dans de nombreuses situations grammaticales où le verbe (qui se décline au féminin et masculin) s’accordera souvent avec le complément d’objet indirect (il y a beaucoup de frimes indirectes, dites obliques) et non pas avec le sujet. Exemple : j’aime les fleurs le verbe sera au féminin pluriel. Ce qui équivaut au fond à dire plutôt « les fleurs me plaisent ». Se penser dans cette langue signifie aussi cela… Remarque : on voit que la question du sujet est difficile à situer au premier abord. Par contre le fonctionnement social encore très collectif, la question de la « joint family » qui n’est pas la famille nucléaire, et que les indiens n’ont pas réellement envie de voir changer, garantit un lien social très présent et donc une beaucoup moins grande solitude et fragilité sur ce plan (sauf encore une fois pour les individus marginalisés qui sont rares). Merci pour votre lecture !
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Chantal Jacquié #parleznousdevous #tellusaboutyourself #galeriedeportraits #psychiatrie
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