Seule ou presque de son village ... Dans l'ouest du Rajasthan, dans le district de Jaisalmer en plein désert du Thar, vivait Sugan Kanwar (aujourd'hui elle vit à Bikaner). Ce qu'elle a de particulier, c'est que ses parents ont fait un choix innovateur dans sa caste des Rajpoutes Bhati, celui de garder leur enfant de sexe féminin malgré le poids des traditions. Une deuxième fille qui aura le droit de rester en vie dans cette caste depuis plus d'un siècle. Les actes d'infanticides récurrents dans cette caste ne datent pas d'hier et sont encore largement répandus aujourd'hui prétextant les mêmes raisons qu'autrefois, liées principalement à la tradition et au poids de la dot (voir section en fin d'article), mais pas seulement. Ce témoignage nous fait découvrir l'histoire de Sugan, une histoire d'aujourd'hui, mais également ses interrogations et ses réflexions : les souvenirs des étés passés dans le village de Devda chez ses grands parents et où vit la majorité de sa caste ; ses jeux d'enfant avec uniquement des garçons car les filles de sa caste étaient absentes au village et le contact avec les autres filles des castes inférieures lui était interdit ; la réalité, découverte à 11 ans, de ce qui est advenue des filles qui auraient dû partager ses jeux ; son parcours scolaire ... Le lecteur trouvera dans ce témoignage des souvenirs plus récents : la recherche d'un mari par ses parents, son mariage (un évènement pour sa caste), sa grossesse, son accouchement, et les premières années de son enfant. Les souvenirs récents ouvriront très nettement le sujet de l'infanticide dans son village, des faits largement médiatisés et faisant connaître sa caste et son village d'enfance à travers l'Inde. Bien sûr, grâce à l'histoire de Sugan et de Bhavani, sa cousine et la première fille à se marier dans la communauté depuis 120 ans, la chance de survivre à ce massacre sera donnée à une vingtaine de filles dans ce même village, dans cette même caste. Le lecteur découvrira également la réticence qu'à Sugan aujourd'hui à se rendre à Devda, les fantômes de ces enfants tués la hante et ces actes de meurtres la dépassent, des actes commis au sein de familles auxquelles Sugan n'aurait pas parier. Le lecteur, à travers les pages, découvrira également les coutumes et les traditions dans un village rural au Rajasthan qui ont lieu encore aujourd'hui (Sugan n'a pas encore 30 ans) comme par exemple le déroulement d'un mariage hindoue. Grâce au témoignage de Sugan, son récit narratif certes simpliste, le lecteur connaîtrera la vie d'une enfant de cette contrée lointaine à travers les grandes périodes de sa vie, la différence de vie entre la campagne et la ville, les coutumes à respecter notamment envers les aïeuls, le début de la modernisation, ... Le témoignage est agrémenté d'histoires contées par ses grands-parents, légendes et faits historiques. Mon avis Un récit qui se lit très facilement, bien évidement le langage utilisé est simpliste, mais avant tout ce témoignage est une grande mine d'information sur ce sujet délicat, finissant par un entretien avec le Dr Singh, responsable du "département de la santé reproductive et infantile" à Jaisalmer. Y est également abordé le destin auquel est soumis nombre de jeunes femmes après le mariage. Le sujet m'était familier, ayant été à Jaisailmer et dans le Rajasthan, ce livre m'a permis de compléter nombre d'informations que j'avais glané, ce qui est appréciable. Je pense que ce livre peut marquer l'esprit de ses lecteurs, espérons qu'il bougera, même un peu, les choses. L'infanticide est une verrue en Inde, et pas seulement au Rajasthan, ni dans la caste des Rajpoutes Bhati. La dot est sans doute l'une des raisons sur laquelle les indiens se rattachent pour justifier ce crime très répandu. Donner naissance à une fille est un poids pour nombre d'indiens, mais que faire pour enlever ces préjugés et le poids des traditions qui s'abattent sur ces vies enlevées. Certes, ils sont encore peu nombreux des parents comme ceux de Sugan, ou le couple que forme Sugan et son époux, mais c'est déjà les premières pierres de l'édifice qui permet l'Inde à rentrer dans une nouvelle ère. Mais il y a encore du travail, pour éradiquer ce fléau et changer les mœurs ... Espérons qu'il ne sera pas trop tard pour réagir, les chiffres parlent d'eux-même. Malheureusement, le sujet est loin d'être clos, et ceux qui luttent contre ce fléau, accumulent nombre d'échecs. Pour terminer, je vous ai fais quelques recherches sur le net sur le sujet de Sugan et de Devda que vous trouverez en fin d'article. La dot La dot (payer pour le mari) tient lieu de pratique universelle en Inde et s’exerce à l'échelle de toutes les castes et classes sociales, à l'exception de quelques familles très occidentalisées dans les villes. Plus la famille du mari est influente dans la caste, plus le métier du mari se trouve à un haut niveau et plus la dot demandée sera élevée. Un aîné vaut plus que ses frères, un veuf ou un infirme devra consentir à des rabais à moins d'être riche. La dot ne se paie pas en argent direct, mais sous forme de cadeaux (motocyclettes, réfrigérateurs, voitures, etc.). Les montants à débourser par la famille de la mariée vont de quelques milliers de roupies chez les intouchables de très basses castes à des millions de roupies chez les riches. Crimes de dot Il arrive qu'il y ait escalade dans la demande de la dot après la cérémonie. Lorsque la famille de la mariée ne peut plus répondre à cette demande, sa belle famille pourra alors s'en prendre à la jeune épouse en la brulant vivante ou en l'empoisonnant. Ces crimes ne sont pas que de rares exceptions commises par des illettrés ou familles dans des villages reculés. En 1983, 690 cas de mortalité furent rapportés pour la ville de Delhi et en 1987, on enregistra 1786 cas de décès reliés à la dot pour l'ensemble du pays. Ces chiffres ne représentent qu'une partie de la réalité. Comme ces crimes sont commis à l'intérieur de la famille, il n'y a pas de témoins, et la famille les présentera comme des suicides ou des accidents avec un four à kérosène. Il est très difficile pour la police de démontrer la culpabilité des meurtriers, généralement la belle-famille et la mère, qui s'en tire le plus souvent sans arrestation. Plusieurs groupes de femmes en Inde militent activement contre ces sévices en rendant public le nom des familles coupables quand celles-ci réussissent à passer entre les mailles de la justice. Source www.infoinde.com
Au village, je joue seulement avec les enfants de ma communauté et ce sont tous des garçons. Il y a bien des petites filles dans les autres castes, mais ma famille ne m'encourage pas à me mêler à elles et leur famille. Ce ne sont pas des Rajpoutes, de caste supérieure comme nous, mais des familles d'artisans, des charpentiers, des forgeons, des potiers ...
Page 66
Ce jour-là, j'ai compris qu'il était vraiment important de ne pas donner une mauvaise image de moi, pour ne pas salir la réputation de ma famille. Parce que mes parents, eux, m'avaient gardée, il fallait que je prouve à tout le village qu'ils n'avaient pas fait une erreur. Je devais les rendre fiers de leur choix en étant une fille modèle, qui respecte la culture de sa communauté. Je veux aussi être une bonne élève à l'école, pour devenir quelqu'un et prouver qu'une fille a de la valeur. C'est une obsession
pages 134 et 135
Seule fille de mon villageDe Sugan KanwarAvec Célia MercierÉditions Flammarion (15 octobre 2014) - ISBN : 978-2081301832 - 276 pages - 19 € (acquis en occasion à 11,49 € y compris frais de port)
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