Ritwik Ghosh est originaire de Calcutta et vient de rejoindre l'Angleterre après avoir obtenu une bourse d'étude à l'âge de 22 ans, un an après le décès brutale de ses parents. Sa vie en Inde, précisément à Jadavpur, était loin d'être simple. Ses parents s'étaient installés dans un petit appartement où vivaient dix membres de la famille maternelle. Les quatre oncles de Ritwik étant de grands fainéants et de plus violents, seul le père de Ritwik travaillait pour toute la famille. Ritwik, étant l'aîné des deux derniers garçons de la famille, à chaque petit écart de conduite même minime, il se faisait réprimander par sa mère. Après son enfance et son adolescence difficile, le départ pour l'Angleterre était une aubaine. Ritwik passa deux années à l'université dont certains moments nous sont racontés : sa chambre minuscule, sa découverte de la liberté dont il se lasse très vite, sa difficulté à se faire des amis, son repère nocturne dans un box des toilettes publiques de St. Giles, ses aventures de quelques heures avec des partenaires anonymes, ... L'Angleterre va lui offrir la possibilité de s'épanouir, de changer de vie, mais Ritwik ne parvient pas à saisir sa chance car aux yeux des autres, il reste toujours un étranger. Après ces années d'université, il passe dans la clandestinité car il est dorénavant sans-papiers. Grâce à une connaissance de d'université, Gavin, d'origine brésilienne, il est hébergé chez Anne Cameron en échange de bons soins. Anne Cameron est une dame de 86 ans, un peu sénile, accro au gin et qui vit dans un quartier au nord de Londres où se trouve une importante communauté étrangère. Vivre dans la clandestine est pour Ritwik très difficile, même en faisant des concessions et en décrochant une bonne opportunité pour se maintenir à flot financièrement et moralement, la vie n'est pas tendre avec Ritwik. Ritwick s'évade en écrivant l'histoire de Miss Maud Gilby, une Anglaise sans prétention, ayant rejoint les Indes Britanniques aux environs des années 1900. Elle est la sœur du District Collecteur James Gilby qu'elle rejoindra dans un premier temps à Madras avant de travailler comme dame de compagnie à Calcutta. Après des années d'une très belle vie dans cette ville où elle est devenue très proche de Maud, une femme moderne et très peu conventionnelle, elle rejoint Mr Roy Chowdhurry, un nawab du Bengale et son épouse Bimala pour devenir sa dame de compagnie et professeur d'anglais. Après un travail minutieux pour sortir Bimala du zenana et obtenir enfin sa confiance, l'ombre de la Partition de l'Inde compromet la douce vie de cette province du Bengale et en même temps celle de Miss Gilby. "Le Passé Continu" est un magnifique roman, aussi complexe que poétique. "Le Passé Continu", dont le titre original est "Past Continuous" est utilisé dans la grammaire anglaise pour parler d'une action qui était en train de se dérouler à un certain moment du passé, l'équivalent en français de l'imparfait. Même si le roman est écrit au présent, le passé a toujours une grande empreinte sur la vie du personnage central : Ritwik Ghosh. Malgré la chance pour lui de faire des études en Europe, il n'arrive pas à faire table rase de son passé et son avenir est loin d'être prometteur. Il s'évade alors en inventant une histoire où il met en scène un personnage féminin Miss Gilby, une anglaise venue à Calcutta quelques temps avant la Partition. "Le Passé Continu" est un très bon roman, qui mélange différents thèmes sensibles : préjugés envers les étrangers, homosexualité, prostitution, sans-papiers, vieillesse et sénilité, ... Le lecteur pourra apprécier toutes les informations transmises par l'auteur sur la Partition. Neel Mukherjee est un auteur qui possède une écriture très intéressante et d'une grande richesse. Les citations" de grandes œuvres littéraires qu'il a ammené dans son roman apportent une valeur ajoutée à son ensemble. Avec "Le Passé Continu", Neel Mukherjee nous offre un premier roman d'une très grande qualité littéraire. Je tiens à remercier "Le livre de poche" pour leur confiance et de m'avoir fait découvert ce roman.
Les garçons avaient été élevés comme des bêtes de somme à qui l'on met des œillères pour qu'elles ne voient que le chemin qui part droit devant elles ; et avaient disparu. Disparue aussi, cette pression constante qui faisait d'eux des investissements à long terme ou des polices d'assurance-vie, brûlée par les mêmes flammes qui avaient consumé leur mère. A sa place, il y avait une liberté si vaste, si obscure que c'était comme si on les avait catapultés dans l'espace. Ils n'auraient personne à leur charge, pas de gens âgés à s'inquiéter pour leur santé ou les frais que nécessitaient leurs maux divers et variés, aucune corde à leur cou ; leurs vies leur appartenaient enfin en propre, sans que quiconque puisse revendiquer un droit dessus.
Le passé continu
De Neel Mukherjee
Titre original : Past Continuous
Nouvelle publication en 2010 sous le titre de "A Life Apart"
Roman traduit de l'anglais par Valérie Rosier
Éditions Jean-Claude Lattès - Collection "Le livre de Poche"
499 pages - 7,90 € HT
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