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"Charrue tordue" de Itamar Vieira Junior 🇧🇷


Sa voix était si faible que je fus la seule à entendre ce qu'elle disait. Ce message transperça mon âme ; comme une marque taillée dans la roche, il resta gravé en moi aussi longtemps qu'il me serait accordé de vivre. [Page 101]


Au fin fond de l’arrière-pays, dans le Nordeste brésilien, Bibiana et Belonísia sont les aînées d'une fratrie de quatre enfants vivants d'un couple de travailleurs quilombola dans la fazenda d'Agua Negra. Lorsqu'elles étaient âgées de sept et six ans, au lieu de jouer avec leurs poupées faites d'épis de maïs récoltés la semaine précédente, elles décidèrent d'ouvrir la valise de leur grand-mère Donana qui se trouva sous son lit pour tester le fascinant couteau au manche d’ivoire qui y était rangé, protégé par un morceau de tissu ensanglanté. En voulant goûter le métal, Bibiana s'entailla sévèrement la langue alors que Belonísia en fut amputée et avec, la parole.

Durant l'enfance, Bibiana devient la voix de Belonísia, la seule, avec le cousin Severo, qui a rejoint la fazenda avec ses parents, à déchiffrer son langage. Mais avec l'âge et les premiers émois, les sœurs ne furent plus aussi liées, l'une n'hésita pas à dénoncer l'autre, lorsqu'elle fut en compagnie d'un garçon. C'est pourtant celle-ci qui s'enfuit avec ce même garçon, enceinte, lassant sa famille dans la tristesse que même la fonction de guérisseur du père, Zeca Chapéu Grande, ne put refermer la plaie et rétablir la paix.



"Charrue tordue", dont le titre original "Torto arado", est le premier roman de l'auteur brésilien Itamar Vieira Junior, récompensé par des grands prix littéraires au Brésil et au Portugal. Itamar Vieira Junior est issu de la communauté quilombola, également appelé palenque, qui désigne au Brésil une communauté organisée d'esclaves marrons ou de réfugiés. Le marronnage est, à l'époque coloniale, la fuite d'un esclave hors de la propriété de son maître en Amérique, aux Antilles ou dans les Mascareignes. La communauté quilombola sont Afro-Brésiliens descendants d'esclaves devenus paysans sans terre, travaillant dans des fazenda, détenus par des propriétaires terriens, généralement blancs.

L'auteur s'est donc "tout simplement" inspiré de l'histoire de ses ancêtres pour son roman, et nous fait découvrir une partie de l'histoire brésilienne méconnue mais avant tout l'histoire de la communauté quilombola avec ses croyances, ses fêtes mélangeant différentes cultures y compris certains saints chrétiens, les problèmes auxquels ils sont confrontés : le vol de leur culture personnelle par le propriétaire terrien, l'interdiction de construire un habitant en dur, les aléas climatiques, les problèmes liés à l'alcool entraînant des violences conjugales, l'organisation entre les différentes fazenda, leur système de santé reposant sur la connaissance de plantes médicinales, ...

Même si le titre n'évoque pas grand chose, la lecture devient très vite envoûtante. L'auteur a su recréer l'ambiance qui règne dans les fazenda, ponctué par les "jarê" annuel, un culte afro-brésilien. Tout en suivant l'histoire de cette famille, et précisément de ces deux sœurs, qui débute approximativement durant les premières décennies du XXème siècle, le lecteur y voit en arrière plan, un pays en plein développement, avec l'arrivée de l'électricité, des premières voitures, des premières télévisions, motos, etc. Les coutumes qui ponctua le quotidien des travailleurs agricoles, commencent également à disparaître car elles ne sont plus transmises aux nouvelles générations, qui désormais sont plus éduqués. C'est également l'histoire de ces familles sans terre, qui peuvent se retrouver du jour en lendemain à devoir quitter leur foyer, malgré qu'elle ont pris soin de la terre autour de leur maison ; et de ces mouvements sociaux venant des villes, se battant pour que les injustices envers les quilombola, à peine guère mieux traités que lorsqu'ils étaient esclaves.

"Charrue tordue" est un roman passionnant à lire, riche en rebondissements et en savoir. Il nous fait découvrir le Brésil comme nous ne l'aurions jamais imaginé.



Charrue tordue

De Itamar Vieira Junior

Titre original : Torto arado

Premier roman traduit du portugais (Brésil) par Jean-Marie Blas de Roblès

Editions Zulma • Paru le 7 septembre 2023 • 352 pages • ISBN9791038701823 • Prix éditeur : 22,90 €








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