"Le charmeur de serpent" de Sanjay Nigam
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"Le charmeur de serpent" de Sanjay Nigam

Alors Sonalal se mit à improviser des variations sur la mélodie favorite du cobra. Des variations merveilleuses qui, enregistrées, auraient apporté une gloire immortelle à leur auteur. C'était comme si la plus belle musique de ses ancêtres - sept générations de charmeurs - se condensait en un mélange de sons qui s'échappaient à présent de son nouveau bîn.
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Sonalal est charmeur de serpent, métier exercé de père en fils depuis sept générations. Il travaille devant le tombeau d'Humayun à Delhi, où affluent quotidiennement un nombre important de touristes. Son serpent, depuis 15 ans, se prénomme Râju et Sonalal l'a attrapé dans les collines de son village natal comme lui a appris son père. Après ces nombreuses années de coopération et de vie commune, Sonalal considère Râju comme son fils. Il est d'ailleurs plus attaché à son serpent qu'à ses propres fils qui sont eux trop proches de leur mère et trop influencés par cette dernière. Mais Râju prend de l'âge et faiblit. Une fin d'après-midi torride, peu de temps avant l'ouverture des Jeux et malgré la grosse fatigue visible des deux compagnons à enchaîner les groupes venus visiter le tombeau, Sonalal rêve de gagner encore plus d'argent et ainsi pouvoir se payer son fameux alcool pour se saouler avec. Cela tombe bien, un dernier bus, bondé de journalistes étrangers, arrive et c'est l'occasion rêvée pour s'en mettre encore un peu plus les poches. Le bus à peine stoppé, Sonalal s'y prend toujours de la même manière pour appâter les touristes et pour que pleuvent les billets. Lorsqu'il entame sa musique pour charmer Râju, ce dernier refuse tout d'abord de bouger de son panier car il est fatigué de cette journée harassante. Avec l'insistance de Sonalal, qui lui interprètent ses mélodies préférées, il commence enfin à sortir et à entamer sa plus belle danse. Une transe et une musique à faire frémir les Dieux. Mais une fausse note due à un moment de rêverie de Sonalal devant l'abondance d'argent qui lui étais remis, rendra d'un coup Râju furieux. Subitement, pour la première fois, il attaqua son maître en le mordant au mollet. Heureusement, Râju est inoffensif car son venin a été retiré. Et pourtant, un deuxième coup de folie, proviendra de Sonalal, qui à son tour tomba dans un état second, une fureur et un geste sauvage. Sonalal vient de tuer son Râju adoré en le mordant et en le disloquant en deux morceaux. Râju n'est plus, sous les yeux médusés des journalistes étrangers qui se délecteront du spectacle inattendu qui leur est servis sur un plateau. Après le départ de cette horde de touristes, Sonalal reste dans le flou et ne comprend pas son geste. Pourtant, avec cette folie, il a gagné beaucoup d'argent, comme il n'en avait jamais gagné avant. Mais rien ne fera revenir Râju. Dès le lendemain, Sonalal deviendra, malgré lui, la star des journaux, relayant les Jeux en seconde place. Tout le monde connaît dorénavant l'histoire du charmeur de serpent qui a tué son serpent, une histoire qui marquera les esprits pour de longues années. Pour retrouver le moral, Sonalal décida de se faire plaisir avec des achats qui n'étaient pas envisageables avant. Mais ce sera dans les bras réconfortants de Rita, la prostituée préférée, qu'il connaît depuis de si nombreuses années qu'elle pourrait presque en être son épouse, qu'il essayera de connaître un apaisement malheureusement de courte durée. Depuis le jour de la mort de Râju, la vie de Sonalal ne sera plus la même et sa vie aura un goût amer. Il continuera à errer sans but à travers la ville, à se saouler et à rendre visite à Rita. Il souffrira d'un mal très difficile à guérir, la culpabilité, celle d'avoir tué son fils, sa seule raison de vivre et son gagne-pain. Il n'arrivera plus à jouer de la musique, son corps le fera souffrir, il perdra sa virilité et même sa prostitué préférée Rina ne pourra rien faire pour lui. Les nuits de Sonalal seront envahies par des cauchemars à propos de serpents notamment la vengeance de la femme à Râju qui doit venger la mort de son mari. Sa vie deviendra rude et ce n'est pas en compagnie de sa femme Sarita qu'il retrouvera sa quiétude et la joie de vivre. Cette dernière déplorera la fainéantise de son mari, son incapacité à être un homme bon et juste, un bon à rien en somme.


"Le charmeur de serpents" est une histoire surprenante et très prenante. On peut facilement avoir de la compassion au personnage de Sonalal, un homme pourtant qu'aucune femme ne rêverait à avoir comme époux et pourtant son amour pour Râju et sa grande affection pour Rina le rendra attachant. Car la vie personnelle de Sonalal est triste : il est simple et sans instruction, son mariage à sa femme Sarita est sans amour, mais tolérable, ses deux jeunes fils respectent guère sa profession, et il passe beaucoup de son temps libre à boire et à se rendre auprès des prostitués notamment Rina. Le lecteur suivra Sonalal dans ses tribulations tragi-comiques à panser ses blessures à la mort de son serpent et nous permettra de connaître une multitude de personnages atypiques et haut en couleur (dont un sexologue controversé du Vieux Delhi) qui vont l'aider à surmonter psychologiquement cet évènement tragique. On rentre dans le monde des charmeurs de serpent, mais aussi en général celui d'artistes de rue, comme celui de magicien et ses légendes d'un autre temps. Les relations familiales de Sonalal sont aussi un pilier important dans le déroulement de l'histoire : une femme qui espère attirer l'intention de son mari, qui lui préfère s’enivrer et aller voir les prostituées ; des fils qui ne sont pas intéresser par le métier de leur père jugé trop précaire et trop démodé ; ... Avant tout ce livre est bourré de réflexions sur la vie en générale : la morale, le succès, la notoriété, la famille, le travail, l'amour, l'amitié ... Et même si normalement le lecteur n'est pas un charmeur de serpent, certaines réflexions peuvent pourtant vous faire réfléchir. C'est une histoire humaine, où l'on cherche à enfin trouver un sens à sa vie, comme un serpent qui se mord à la queue, indéfiniment.


Comme chaque fois, il leva les yeux vers le balcon de Rina au deuxième étage, où elle avait l'habitude de suspendre ses jupons. La nuit, c'était une des rues les plus éclairés de Chandni Chowk, et il était capable de distinguer les couleurs des vêtements. Il était plus facile de savoir dans quelle humeur se trouvait Rina en observant ces couleurs qu'en étant avec elle. Parfois, bien-sûr, les jupons avaient été retirés et il ne savait pas comment elle allait. Un de ces jours-là, il était entré et avait passé une nuit merveilleuse avec elle.
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Sonalal passait des heures entières au milieu de ses branches, à sonder son âme dans la lumière diffuse des quartiers de lune tandis que la nuit refluait lentement. Il était assis là quand la mousson finit par atteindre Delhi. Il était presque sûr que les toutes premières gouttes de pluie étaient tombées sur le banian et y vit un signe que les cieux approuvaient son introspection.
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Sonalal trouvait que Lalou y allait un peu fort même s'il faisait de son mieux pour cacher son sentiment. N'étant pas étranger au monde des bateleurs, il se disait que c'était dans l'ordre des choses. Dans la rue, comme presque partout ailleurs, le bagout l'emportait sur le talent. Des milliers de gens pouvaient faire sortir un cobra d'un panier, mais bien peu étaient de vrais charmeurs. Combien de fois s'était-il dit qu'il n'existait qu'un charmeur authentique sur la place de Delhi ?
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Le charmeur de serpent

De Sanjay Nigam

Titre original : The snake charmer

Roman traduit de l'anglais par Dominique Vitalyos

Éditions Philippe Picquier (parution le 27 avril 2005) - Collection Poches - ISBN : 978-2877307802 - 294 pages - Prix éditeur : 8,10 €



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