"Le Thinnai" de Ari Gautier
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"Le Thinnai" de Ari Gautier

Pris dans le piège du passé, le temps emprisonné dans une immense toile araignée se débattait furieusement pour se libérer des griffes méphistophéliques de l'oubli. Des souvenirs lourds et impérissables pendaient misérablement de ces fils fragiles qui ressemblaient à des guirlandes fanées d'une fête autrefois abandonnée. L'ombre du passé tapie derrière la porte muette cherchait désespérément à sortir de son exil lointain.




Histoire racontée à l'ombre un thinnai ... récit du destin tragique d'âmes errantes qui échouent sur le thinnai d'une petite maison de Pondichéry à la recherche d'un moment de répit dans leurs vies tourmentées. Sur ce thinnai, l'Histoire et les histoires se mêlent : des marins bretons font naufrage aux Maldives, des coolies partent vers les Antilles vivre des destins brisés, des enfants malheureux sont jetés dans des rues sordides de Bombay, et Gilbert Tata erre, muni d'une pierre précieuse funeste et mystérieuse. (quatrième de couverture) Deux ans après  "Carnet Secret de Lakshmi' où la parole a été donnée à l'éléphante du temple de Sri Manakula Vinayagar dédié à Ganesh, Ari Gautier nous transporte une nouvelle fois à Pondichéry. Dans son nouveau roman - fruit d'un travail de quatre années -, il nous fait découvrir la ville de son enfance non pas à travers l’œil avisé d'un éléphant (ou d'un tout autre animal) mais à travers un lieu caractéristique des maisons tamoules, un thinnai dont vous trouverez son illustration sur la couverture. Pourtant, Ari Gautier n'a pas choisi n'importe quel thinnai pour son nouveau roman, il a choisi le thinnai de son enfance, celui qui l'a nourrit et qui l'a vu grandir pour devenir l'homme qu'il est devenu.


Ce minuscule bout de thinnai servait de terre d'asile aux vagabonds, aux sans-familles, aux purotins, aux malades, aux esseulés, aux gâteux, aux désemparés, aux fous et aux saints. Ce thinnai avait donné à tous ces malheureux un petit moment de répit dans leur vie mouvementée. Tous ceux qui s'y sons arrêtés ont laissé des souvenirs sur notre thinnai. Ce petit bout de pièce en terre battue, attachée à la façade de notre maison était devenue un havre de paix pour certains ou une halte pour d'autres qui avaient entrepris une lente descente aux enfers. Hanté par les souvenirs de tous ses occupants, le thinnai gardait sa fonction de terre d'accueil sans distinction de races, de castes, de classes et de religions.


Vous l'aurez compris, le thinnai est un lieu idéal pour se laisser transporter dans les méandres de l'histoire de l'ancien comptoir de la Compagnie des Indes, Pondichéry. Il suffit alors de vous laisser emporter et laisser venir à vous un panel de personnages authentiques - gens simples, souvent loufoques et rustre, parfois vulgaires et querelleurs et pourtant si attachants - d'un quartier aussi haut en couleur que les personnes qui y vivent. Âmes échouées de toutes origines et de toutes confessions essayant de survivre dans un monde situé non loin géographiquement du "French Quarter" des brochures touristiques et pourtant à la fois si éloigné par d'autres aspects. Bienvenue à Kurusukuppam, ancien hameau de pêcheurs, un village dans la ville, quartier où l'on y trouve l'église de St François d'Assise et où s'y côtoient/côtoyaient pêle-mêle : Trois Bourses Six Visages, Un Œil et Demi Joseph, Pascal Queue de Cochon, Edouard le Boiteaux, Émile Tête de Kozhukattai, Asamandi Baiyacaca Sonal, Pattakka, Karika Bhai, Lourdes et bien d'autres. Mais pour agrémenter ce melting-pot, s'y ajoutent les voyageurs de passage attirés par un thinnai en particulier. Halte express ou halte à longue durée, ce qui est certain chacun d'entre eux a laissé une trace ostensible ou imperceptible de leur passage et bien des années plus tard, ils continuèrent à hanter le lieu, à défaut d'avoir une place dans la mémoire amnésique de l'histoire. C'est justement un de ces voyageurs, qui, un jour de la Fête du Roi, s'installa se reposer quelques instants sur le thinnai de la maison familiale de l'auteur. Et c'est à travers ce voyageur mystérieux qui resta au final longtemps dans les bras réconfortant du thinnai que se dessine le roman. L'histoire de ce Gilbert Tata mais surtout celle de ses illustres ancêtres - dont un avait été détendeur d'une pierre énigmatique - ne sera révélée que par bribes, apportant une once de mystère à cet homme durant la majeure partie du livre. Afin de maintenir le suspens concernant cet homme, Ari Gautier nous transportera dans d'autres histoires, souvent rocambolesques et n'hésitera pas à nous faire quitter quelquefois Pondichéry pour d'autres terres même si au final ça sera l'histoire de Gilbert Tata qui nous fera le plus voyager à travers les mers. Ces nombreuses histoires dans l'histoire permettront de mettre la lumière sur la vérité trop souvent détournée ou cachée de l'histoire de la ville et en filigrane celle du Monde et de ceux qui l'ont façonné. L'ombre d'un thinnai est donc l'endroit stratégique pour voir évoluer le monde autour de soi et apporte à celui qui s'y installe, un havre de paix dans le brouhaha de la vie. C'est le lieu idéal pour raconter des histoires ou lire des histoires. Alors à votre tour, installez-vous et laissez vous emporter par la nostalgie des souvenirs  avec "Le Thinnai", un roman mêlant réalité et fiction, un roman se voulant décoloniser la littérature française mais surtout un roman très prenant et très bien écrit. Un très bel hommage aux pondichériens.


L'auteur et un thinnai (copyright : Ari Gautier)

 

Le Thinnai

Par Ari Gautier

Éditions Le Lys Bleu - Collection : Envie d'ailleurs - ISBN : 978-2-37877-004-4 - 287 pages - Prix éditeur : 20,60 €



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