"La Fureur du Gange" de Manohar Malgonkar
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"La Fureur du Gange" de Manohar Malgonkar

"Dans ce récit, seule la violence reflète la réalité. Surgie dans le sillage de la liberté, elle fait à présent partie intégrante de la l'histoire de l'Inde." Manohar Malgonkar
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Le Pénitencier des îles d'Andaman dans la baie du Bengale vient d'ouvrir ses portes à de nouveaux déportés, ce que personne ne sait encore, c'est qu'il s'agit du dernier convoi car la Seconde Guerre Mondiale vient d'être déclarée. Parmi ces nouveaux bagnards venant de toute l'Inde, condamnés à perpétuité pour des crimes de toutes sortes, le hasard a voulut que deux anciennes connaissances d'université s'y recroisent. Rien ne laissait présager que ces deux étudiants, aujourd'hui réputés "dangereux" comme il est cousu sur leurs vareuses de prisonnier soient incarcérés dans ce bagne où le billet retour n'est pas inclus. Le premier est Debidayal, fils unique d'une grande famille hindoue des environs de Lahore. Il avait tout pour réussir et surtout la fortune, mais il préféra se concentrer sur des activités terroristes à l'encontre des Britanniques, au grand damne de ses parents et de sa sœur Soundari qui portaient en lui un grand espoir de réussite.

Guiann, le second, également hindou, aurait pu aussi faire partie d'une famille loin d'être dans le besoin, mais son grand-père par amour pour une femme d'une caste inférieure a sacrifié sa vie confortable contre une vie de dure labeur et privé d'héritage. Le frère de Guiann a ensuite sacrifié la sienne, tout d'abord pour permettre à Guiann d'aller à l'université mais aussi afin que justice soit rendue à sa famille. Guiann a simplement vengé son frère en tuant son meurtrier qui a été acquitté par la justice. Même si à une époque, Debidayal et Guiann avait partagé une après-midi de pique-nique, ils n'éprouvaient ni pour l'un pour l'autre une franche amitié. Leur lutte pour survivre dans l’enfer du pénitencier les range dans deux camps opposés : pro-britannique pour Guiann et anti-britannique pour Debidayal. Après l'invasion des japonais en Birmanie, l'archipel des Andaman est abandonnée par les anglais. Guiann sera en charge d'aider à la fuite des derniers anglais de l'île vers l'Inde à l'arrivée des Japonais avec le dernier bateau affrété. Debidayal, lui, aura également l'occasion de retourner en Inde, mais en échange d'un service imposé par les Japonais, celui d'espion en préparation de leur invasion indienne. Il sera emmené à Rangoon avant de prendre place parmi la vague de réfugiés indiens qui fuient coûte que coûte la Birmanie. Debidayal, en voyant ces indiens livrés à eux-même après avoir été abandonnés par les Britanniques ne décoléra pas contres eux. Que fera-t-il une fois arrivée sur le sol indien où il est encore considéré comme un prisonnier ? Mais qu'est-il advenu de son mouvement où autrefois hindous et musulmans combattaient contre l'occupant ? Se vengera-il de ses frères d'armes qui l'ont trahi ? Quant à Guiann, il rusera pour devenir anonyme dans cette Inde où il n'a plus de famille, quitte à mentir un peu. Mais les attaques et les sabotages contre les Britanniques sont de plus en plus fréquents à travers les Indes, tout comme les conflits entre les communautés religieuses. La Partition gronde et plus de douze millions de personnes doivent prendre la fuite dont un nombre important se feront massacrés, mutilés, violés, ... Une Indépendance qui fera couler beaucoup de sang et de larmes.


"La fureur du Gange" est une plongée dans l'histoire de l'Inde au cœur des hommes et de leurs pensées et non pas comme elle est décrite dans les livres d'histoires avec des angles arrondies. Tout débute en pleine colonisation anglaise, avec différentes convictions : ceux qui prônent l'Indépendance avec un mouvement de non-violence guidé par Gandhi, ceux qui voient au travers de la colonisation de nombreux points positifs et enfin ceux qui rêvent du départ des Anglais par la violence. Guiann, durant sa vie d'étudiant, aura sa phase "Gandhi" mais l'injustice subit par sa famille lui fera très vite changer d'avis et il trouvera du bon parmi les colonisateurs britanniques comme par exemple l'impression que les fonctionnaires britanniques sont moins corrompus que les fonctionnaires indiens. Debidaya prônera la violence et souhaite la libération par la force, pour autant c'est un homme intelligent et quand viendra pour lui l'occasion de combattre contre les anglais auprès des japonais il aura de la jugeote mais pourtant il préfèrera la vengeance qu'une vie paisible en attendant l'heure fatidique. "La fureur du Gange" commence avec le mouvement de non-violence de Gandhi, mais ironiquement il se terminera dans un bain de sang, où règne une violence sans pareil avec émeutes et une brutalité bestiale et où l'on peut se demander par quel miracle les personnages arriveront à s'en désembourber. Le roman nous fera partager l'horreur de deux flux de migration. La première, moins connue, qui est celle des indiens fuyant la Birmanie à l'arrivée de l'invasion japonaise. Le seul livre, à ce jour que je connaisse et faisant référence à ce premier tragique évènement de la pré-indépendance est "Le Palais des Miroirs" de l'auteur Amitav Ghosh. La seconde vague de migrations est la très connue "Partition", où les musulmans fuient l'Inde et les hindous et sikhs fuient le Pakistan nouvellement crée. Pourtant la frontière entre ces deux nouveaux pays n'est pas encore réellement délimitée,. En lisant cette partie relatant de la Partition, l'on ne peut que se remémorer "Train pour le Pakistan" de Khushwant Singh, qui se situe dans un village du Pendjab côté "indien", l'on pourrait presque dire que les deux se clipsent merveilleusement bien l'un à l'autre. Bien évidement, l'auteur nous ne livre pas la Partition brute sans un avant-goût au préalable ou si vous préférez sans y introduire quelques faits avant-coureurs. Et cela bien évidement commence avec la trahison faite par les frères d'armes de Debidaya qui ont préféré "sacrifié" les membres hindous de leur ligue car les dirigeants étaient musulmans, la première trahison dont sera victime Debidaya. D'autres détails intéressants ornent le roman, comme certains lieux stratégiques. Les localités des deux "héros" hindous se situent au Pendjab, qui sont devenues aujourd'hui la partie pakistanaise. Le pénitencier des Anadaman peut être aussi un choix délibéré voulut par l'auteur pour mettre en premier lieu un site historique et y construire à travers lui une trame logique à son récit qui a pu s'élargir sur la partie birmane. Et pour en citer un troisième, les docks de Bombay, haut-lieu du commerce maritime notamment avec l'Angleterre et ses colonies. C'est justement une multitude de petits détails qui rendent ce roman captivant dont il serait trop long à énumérer. Outre l'aspect historique où l'on constate clairement que l'auteur indien a été témoin, de près ou de loin à ces évènements (l'auteur est né en 1913, le roman se situe entre 1939 et 1947), c'est également une fabuleuse histoire fictive à tout point de vue. Ce roman donne aussi sa place aux valeurs familiales, ancestrales, religieuses, à l'amour quelquefois inter-religieux ou inter-castes, à la survie, ... Une très belle leçon d'histoire en somme, où l'on pourrait considérer que la fiction rejoint la réalité.


"Cette non-violence, donc, paraît surtout motivée par notre impuissance. Au tréfonds de nous-mêmes, on dirait que nous couvons le désir de tirer vengeance à la première occasion. Une non-violence sincère et volontaire peut-elle résulter de cette non-violence du faible, qui semble imposée par la contrainte ? L'expérience que je tente serait-elle vouée à l'échec ? Quand éclatera la furie, qu'adviendra-t-il si pas un homme, pas une femme, pas un enfant n'est plus en sécurité, si chacun lève le poing contre son voisin ? " Gandhi
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Au rythme musical du cliquetis de leurs chaînes, ils entrèrent dans un nouveau monde, un monde peuplé de forçats, de gardiens de forçats et d'anciens forçats en liberté conditionnelle. La lourde porte s'ouvrit devant eux. La prison les avala. Ils formaient le dernier convoi des déportés des Andaman. C'était le 4 septembre 1939. Le monde qu'ils laissaient derrière eux venait de s'engouffrer dans une nouvelle guerre. Mais ils l'ignoraient encore.
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Il devenait évident que, pour les peuples du sous-continent, le message de Gandhi n'avait été qu'un expédient politique dénué de signification profonde. Tout au plus, l'avaient-ils adopté comme une arme efficace de propagande dirigée contre les Britanniques. A peine la poigne de fer du pouvoir colonial s'était-elle relâchée que les populations du sous-continent jetaient leur gandhisme aux orties pour se livrer à une orgie de violence qui devait répondre à quelque penchant inné.
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Ils étaient tous là, les Brahma, les Vishnou, les Shiva, les Krishna, les créateurs, les préservateurs, les destructeurs, les Ganesh, les Vithoba, les Hanuman, dieux et déesses quasiment nu, apsaras à l'opulente poitrine, génies à tête d'éléphant, de singe, d'aigle, à deux ou quatre têtes, à quatre, huit ou dix bras, démons et démones, demi-dieux ou demi-diables, dansant, dormant, bénissant, discourant, saluant, forniquant, splendides et grotesques à la fois.
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La Fureur du Gange

De Manohar Malgonkar

Titre original : A Bend in the Ganges

Traduit de l'anglais (Inde) de Patrice Ghirardi

Éditions du Rocher - Collection Motifs - ISBN : 978-2268063652 - 572 pages - Prix éditeur : 10,20 €


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