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"Le mangeur d'hommes" de Rasipuram-Krishnaswami Narayan

Je savais que c'étaient des paroles en l'air, car il était d'un caractère à ne laisser personne en paix. Il aurait dépéri s'il n'avait eu quelque victime à persécuter. Si c'était une connaissance, il l'accablait de sarcasmes. S'il rencontrait un étranger, une figure nouvelle, il demandait avec une brusquerie : "Qui est celui-là ? Vous ne m'avez pas dit son nom !" Un maharadjah rencontrant un pauvre hère dans une salle de son palais n'aurait pu demander d'un ton plus impérieux : "Qui est cet homme ?"
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Nataraj est le petit imprimeur sur Market Road à Malgudi. Il habite avec sa femme et son fils Babu à Kabir Street, une charmante demeure ancestrale qu'il a hérité de son père. Nataraj est un homme simple, honnête et qui a une vie paisible. Dans son imprimerie, il a uniquement un employé du nom de Sastri et lorsqu'il ne peut pas honorer une commande, il envoie ses clients chez son confrère qui possède "l'Original Heidelberg". Parmi ses visiteurs les plus fidèles mais qui ne lui ramènent pas un seul paisa, il y a le poète qui écrit la vie du dieu Krishna en vers monosyllabiques et Sen le journaliste qui vient lire le journal et surtout débattre des erreurs commises par Nehru. Nataraj a ses propres rituels, faire ses ablutions à la rivière avant quatre heures du matin alors que la ville somnole ou celui d'accueillir ses visiteurs dans son bureau d'où l'on ne peut pas voir son atelier, caché par un rideau bleu mais par lequel il peut crier ses ordres à Sastri. Mais un jour, un visiteur particulier débarque à l'imprimerie. C'est un grand homme mince avec un cou de taureau et une poigne de fer mais qui surtout n'a que faire des règles de politesse et de savoir-vivre. Cet homme du nom de Vasu, un taxidermiste, veut l'impression de papiers à en-tête et des cartes de visite. Mais avec cette visite, débuteront pour Nataraj les problèmes. Vasu est un individu envahissant, malhonnête et de surcroit qui exerce le braconnage dans la vallée sans aucun scrupule. Il sera souvent comparé à un Rakshasa, un démon. Un démon qui n'hésitera pas à s'approprier le grenier de l'imprimerie pour y squatter et pour y faire ses activités de taxidermiste apportant dans le paisible quartier la puanteur mais surtout l’effroi de ses habitants et perturbant la paix de Malgudi et surtout celle de Nataraj.



"Le mangeur d'hommes" transporte une nouvelle fois son lecteur dans la ville imaginaire de l'auteur, Malgudi. C'est une histoire passionnante et magnifiquement bien contée, les lieux et les personnages sont si précis que l'on peut facilement se les imaginer. "Le mangeur d'hommes" fait l'allégorie du bien et du mal. D'une certaine manière, Nataraj représente la passivité indienne tandis que Vasu incarne les forces agressives du modernise en passe de menacer et déstabiliser la société indienne avec sa personnalité brusque et ses manières effrontées où il n'y a pas la place pour les règles de savoir-vivre. Pourtant, ce mal a des pouvoirs d'auto-destructions s'il n'est pas maîtrisé. L'hindouisme a une place très importante dans le roman à travers les personnages de Sastri - un personnage très discret dans l'histoire et pour lequel l'on se demande si l'auteur ne l'a pas créé uniquement pour relier les mythes avec la réalité - et du poète Rangi (signifiant Krishna), chacun faisant souvent référence aux épopées hindoues en y citant certains passages. Ainsi, ils apportent chacun à sa manière une grande profondeur au roman et une plus grande perspicacité dans l'action et dans les personnages. Un autre détail intéressant, est le rideau bleu installé par Nataraj entre son bureau et son atelier. Il est parfaitement en adéquation avec le roman : au début du roman l'intimité est préservée et le rideau est bien tirée. Mais avec l'arrivée brusque de Vasu, l'intimité est ainsi violée et la vie de Nataraj perturbée, mise à nue. Nataraj fera le nécessaire pour rétablir l'intimité de son atelier, mais l'effet Vasu profanera ce lieu sacro-saint. Nataraj le bon se trouvera dans une spirale infernale qui l'entraînera dans d'autres spirales dont on se demande s'il y verra le bout. Mais le bien ne doit-il pas vaincre le mal, même de manière pacifique, comme Gandhi prônait la non-violence ? Tout comme les autres romans de Narayan, "Le mangeur d'hommes" est un roman à découvrir. On retrouve toujours avec autant de plaisir Malgudi et ses habitants.





Sastri, qui, en bon Hindou, savait un peu le sanskrit, apprécia une citation et la façon dont elle était tournée ; il en invoqua une autre, plus profonde et également en sanskrit : pour affronter un rakshasa on doit posséder l'adresser d'un chasseur, l'esprit d'un pandit et la ruse d'une prostituée. Et de me crier un vers à l'appui.
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Le mangeur d'hommes De Rasipuram-Krishnaswami Narayan Titre original : The man-eater of Malgudi Traduit de l'anglais (Inde) par Anne-Cécile Padoux Préface de Graham Greene (1978) Date de sa première parution : 1961 Editions Le Livre de Poche - Parution 1989 - 319 pages - Uniquement en occasion


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