Comment pourrait-il en être autrement ? Car je l'ai vu confirmé très souvent : les bancs de vase du pays des marées sont modelés non seulement par les fleuves de limon mais aussi parles fleuves des langages : bengali, anglais, arabe, hindi, arakanais, et qui sait quels autres ? Se coulant l'un dans l'autre, ils créent Une prolifération de petits mondes qui demeurent suspendus dans le courant. Et je compris : la foi du pays des marées ressemble à une de ses grandes mohanas, non seulement un confluent de plusieurs rivières mais un carrefour que les gens peuvent utiliser pour aller dans de multiples directions - de pays en pays et même en croyances et religions.
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Entre la mer et les plaines du Bengale s’interposent un archipel qui s’étend des rives du Hoogly dans le Bengale de l’ouest jusqu’à celles du Meghna : les Sundarbans. C’est dans un train les menant à ce lieu que se croise le quinquagénaire Kanai de Delhi et la jeune Piyali de Seattle aux États-Unis. Lui, est en route pour rendre visite à sa tante qui vit sur l'île de Lusibari et pour récupérer des papiers que lui a légués son oncle. Elle, est venue pour enquêter sur les mammifères marins du Sundarbans et principalement deux espèces de dauphins : le dauphin du Gange et le dauphin de l'Irrawaddy. Arrivé à Canning, chacun prit sa route. Alors que Kanai découvre le cahier d'écolier griffonné par son oncle tout en se remémorant son lointain séjour sur Lusibari alors qu'il était enfant, Piya essaye d'entreprendre sa mission. Malgré ses précautions, le début de son expédition se révèlera très difficile mais heureusement son chemin croisa celui de Fokir, un pêcheur de crabes qui est accompagné par son fils Tutul. Fokir lui sauvera la vie mais surtout il mènera Piya droit vers les dauphins puis sur l'île de Lusibari. Alors qu'elle vient de retrouver Kanai, Piya souhaite reprendre rapidement ses recherches en profitant des connaissances de Fokir. Avec l'aide de Kani qui deviendra l'interprète durant cette mission, ils entreprirent un nouveau voyage au cœur du pays des marées mais un évènement viendra perturber le déroulement des opérations de repérage.
Car, là où elle avait vu un signe de Bon Bibi, je voyais, moi, le regard du Poète. J'avais l'impression qu'il me disait : [...] un animal, une bête muette lève vers nous les yeux, et nous transperce calmement de son regard. C'est cela que l'on nomme le destin ¹... 1. Rainer Maria Rike, "Huitième élégie", in Élégie de Duino, op. cit., p. 121.
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"Le pays des marées" est un formidable hommage d'Amitav Ghosh pour le pays des marées, les Sundarbans, une région où vécut son oncle et où vit son cousin (cf note de l'auteur en fin d'ouvrage). Il nous fait découvrir cette région qui se situe à quelques encablures de Calcutta et qui se trouve aussi bien en Inde qu'au Bangladesh. Nous y découvrons plus que des paysages. L'on y trouve ses légendes et ses croyances, son histoire, les habitants qui peuplent ses lieux, sa nature incroyable, ... Même si les deux principaux lieux où se déroulent le roman - Lusibari et Garjontola - sont fictifs, Amitav Ghosh s'est largement inspiré de l'histoire réelle de cette région. On y découvre par exemple l'histoire de Morichjhapi, une île du pays des marées où des réfugiés bengalis s'y étaient installés avant de se faire expulser en 1979. Une expulsion qui a été un véritable bain de sang. L'histoire de ces réfugiés est en partie transcrite dans le cahier hérité par Kanai qui a été écrit par son oncle. "Le pays des marées" nous conte une histoire avec des personnages qui a priori tout oppose : un businessman de Delhi, une cétologue, une veuve qui a donné sa vie pour une fondation, un pêcheur, une infirmière, un instituteur à la retraite ... Pourtant ces personnages sont liés par les Sundarbans, chacun à sa façon : par la mémoire, par conviction, par amour, par tradition, par survie, ... Ce qu'ils ont pourtant en commun, c'est qu'ils arrivent à un tournent de leur vie où les choses peuvent entièrement changer et balayer ce qui a été préalablement construit même leur façon d'appréhender leur vie peu importe l'âge de chacun. Une vie aussi fragile que les Sundarbans qui n'est pas à l'abri des caprices de la terre, de la météo et des hommes. Parmi les nombreux personnages de ce roman, j'ai trouvé parmi eux deux personnages très touchants et qui ont une place essentielle même s'ils ne sont pourtant que des personnages secondaires. Il s'agit de l'oncle de Kanai, Nirmal, qui nous transporte dans le passé à travers ses écrits. Mais il y a avant tout Fokir que l'on trouve sur les deux espaces-temps. Ce dernier peut paraître simplet au premier abord mais l'on découvre très vite un homme très intelligent et très malin. Indéniablement il y a un rôle de guide.
Le roman est divisé en deux grandes parties reprenant ce qui rythme la vie des Sundarbans : la Marée basse : Bhata" et la Marée haute : Jowar. Dans la majeure partie du roman, l'on retrouve les écrit de Nirmal. Mais dans la seconde partie, le roman prend une autre tournure que je trouve un tantinet expédiée. Le roman traite de nombreux sujets : la fragilité de l'écosystème, les réfugiés, l'héritage verbal, le développement, les femmes, la corruption, la cohabitation entre les hommes et la nature, le poids des croyances ... Il est également intéressant de découvrir les croyances populaires à travers la légende du Bon Bibi qui divise le pays des dix-huit marées en deux parties, une adaptée à la présence humaine et l'autre sauvage où règne Dokkin et ses hordes de démons. Pour les amoureux des animaux, il est très souvent question de dauphins et même de tigres. Pour les amateurs de poésie, l'on y retrouve grâce à Nirmal, le poète Rillke et nombre de ses magnifiques poèmes. "Le pays des marées" est à l'image des autres romans d'Amitav Ghosh, ce dernier aime apporter les détails qui permettent à son lecteur une totale immersion dans son roman et un formidable voyage. Entre passé et présent, il apporte une agréable lecture forte en émotions.
Les mots sont comme le vent qui ride la surface de l'eau. Le fleuve coule au-dessous, invisible et inaudible.
L'âge vous apprend à reconnaître les signes de la mort; On ne les voit pas d'un seul coup : on en devient conscient très lentement au fil de nombreuses, très nombreuses années Maintenant, j'avais l'impression de déceler ces signes partout, pas seulement en moi, mais dans ce lieu où j'avais vécu pendant presque trente ans. Les oiseaux disparaissaient, les poissons se faisaient rares, de jour en jour, la terre était reprise par la mer Que faudrait-il pour envahir, submerger le pays des marées ? Pas grand-chose - un minuscule changement du niveau de la mer suffirait. Tandis que je méditais sur cette perspective, il m'a semblé que ce pourrait ne pas être une fin si tragique : ces îles avaient connu tant de souffrances, tant de rudes épreuves et de pauvreté, tant de catastrophes, tant de rêves déçus que, peut-être l'humanité ne serait pas desservie par leur perte.
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J'avais un livre à la main pour passer le temps et il me vint à l'esprit que, dans un sens, un paysage n'est pas sans ressemblance avec un bouquin – un ensemble de pages qui se chevauchent sans que deux d'entre elles soient jamais pareilles. Les gens ouvrent le livre selon leur goût et leur éducation, leurs souvenirs et leurs désirs : pour un géologue, l'ensemble s'ouvre à une page, à une autre pour un batelier et encore à une autre pour le barreur d'un navire, un peintre, etc. Parfois, ces pages sont striées de lignes invisibles pour certaines personnes alors qu'elles sont pour d'autres aussi réelles, aussi chargées et aussi explosives que des câbles à haute tension.
Le pays des marées
Amitav Ghosh
Titre original : The Hungry Tide
Traduit de l'anglais (Inde) par Christiane Besse
Broché - Éditions Robert Laffont - Date de parution : 6 avril 2006 - 486 pages - ISBN : 978-2221104132 - Prix éditeur : 22,50 € Poche -
Éditions Robert Laffont - Collection : 10/18 - Parution : avril 2008 - 473 pages - ISBN : ISBN : 978-22640455226 - en occasion
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