Mes seuls dieux de Anjana Appachana
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Mes seuls dieux de Anjana Appachana

Ce recueil de nouvelles écrites par Anjana Appachana est composé d'histoires magnifiquement écrites avec nombre de personnages, certains au caractère bien trempé. Des personnages de la classe moyenne ou bourgeoise et moderne, ce dernier peut paraître évident car les histoires se déroulent en milieu urbain, Delhi étant quelques fois cités. Bien évidement, les traditions ne sont jamais loin, elles ne prédominent pas mais elles sont bien ressenties. Anjana Appachana aborde de nombreux sujets à travers ses nouvelles où les femmes ont une place prépondérante. Dans "Bahu", une femme fraîchement mariée a du mal à combiner sa vie professionnelle avec sa vie maritale auprès de sa belle-famille. Dans "Mes seuls dieux", une fillette est très capricieuse et ne supporte pas lorsque sa mère ne s'occupe pas d'elle. Dans "Prophétie", une étudiante tombe enceinte et ne peut pas sortir de sa résidence universitaire pour se faire avorter. Dans "Sharmaji" puis "Sharmaji & les sucreries de Diwali", le lecteur découvrira le fainéant Sharmaji, un personnage universel car cette nouvelle pourrait décrire un employé dans n'importe quelle entreprise au monde, car je suis sûre tout le monde a déjà croisé le même dans son travail. Sharma arrive tous les jours en retard, passe son temps à traîner dans les couloirs à discuter, boire du thé et fumer des bindis. Bien évidement quand quelqu'un lui dit quelque chose, il râle et entonne le même refrain. Dans "Le fantôme et la barsati", un couple de retraité a mis en location un appartement au-dessus de leur maison d'habitation à un jeune homme, d'origine Madrasis, très malin. Dans "Sa mère", une mère écrit une lettre à sa fille qui est allé à l'université aux États-Unis. Tout en écrivant cette lettre, le lecteur découvre les pensées et surtout la tristesse de cette mère, qui a vu se transformer sa fille. Enfin, une dernière nouvelle, la plus poignante de tout l'ouvrage nommée "Incantations", qui ne peut laisser personne indifférent. Une fille de 12 ans, âge de l’innocence, est la confidente de sa sœur qui s'est fait violée par son beau-frère quelques jours avant son mariage. Un enfer qu'elle continuera d'endurer. Anjana Appachana parvient à capturer l'humour omniprésent, poignant, et l'auto-illusion de la vie des gens qu'elle décrit, mais sans avoir l'air de porter des jugements. Malgré que ces personnages vivent dans ce qu'on peut dire de "moderne", le lecteur peut sentir que cette transition avec les traditions reste très fragile. Les secrets, les superstitions, les obligations familiale, les valeurs morales emmêlent les personnages, leurs rêves et leurs aspirations s’estompent. Des nouvelles qui laissent à réfléchir et démontrant les limites de la modernisme qui emporte la société indienne aujourd'hui. La version originale a été publiée pour la première fois en 1991 au Royaume-Uni et 1992 aux États-Unis. Les nouvelles se situent dans les années 1980, information que j'ai apprise après avoir entamé le l'ouvrage. Assez surprenant, car sans connaître l'information, le lecteur peut aisément situé ces nouvelles à partir des années 2000. Cela démontre, que le modernisme dont je vous fais part tout le long de cet article a été entamé en Inde il y a de nombreuses décennies, contrairement aux visions européenne qui était cantonnées à une Inde d'un autre âge durant cette époque, nourrit par une Inde de Mère Calcutta et de la Cité de la Joie. Une agréable lecture avec nombre de personnes attachants, une écriture divine et intemporel.

Les livres parlent de l'instant de la révélation, la soudaine et absolue prise de conscience de son propre malaise. En réalité ça ne se produit pas comme ça. Il n'y a pas d'instant unique. Chaque fois que vous cédez, vous vous persuadez que l'adaptation est indispensable au mariage. Inutile de contrarier les gens quand vous vivez avec eux. Il n'y aura pas de prochaine fois. Mais si, il y en a une. Vous cédez encore, et encore, et encore. Puis arrive un moment où ce n'est plus une affaire anodine. Mais, toujours submergée par la culpabilité, toujours résolue à faire plaisir, vous succombez encore. Insensiblement, mais irrévocablement, vous glissez dans le genre de vie qui est l'opposé total et affreux de tout ce en quoi vous croyez. Le genre de vie dont vous parliez avant le mariage (un temps de bonheur parfait en principe) en disant, jamais je n’accepterais une telle chose. Plutôt partir. Maintenant cette situation est la vôtre. Vous n'êtes pas partie. Vivrez-vous toujours comme ça ?
Page 15-16

J'aimais ma mère passionnément, obsessionnellement, jalousement. Je me comportais correctement aussi longtemps que personne nous faisait des avances amicales, à elle ou à moi. En ma présence, elle prenait la précaution de ne pas manifester d'affection à qui que ce soit. Les rares fois où elle commetait un écart - donner un baiser à une sœur, une accolade à une amie - la maisonnée retentissait de mes cris.
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Le soir, les voisines passèrent avec des gulab jamuns, des pedas, des dahi vadas faits maison, et encore des jamuns et des mangues cueillis à leur propres arbres. Mange, mon enfant, mange, presssaient-elles Namita, qui riait, qui protestait. Elle était trop mince. Elle avait besoin de se remplumer.
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Aujourd'hui, vingt ans plus tard, j'essaie d'imaginer ce qui serait arrivé si ma soeur avait parlé du viol à mes parents. Ils auraient bien sûr tout annulé. Et Sangeeta, avec sa virginité perdue, aurait continué à vivre avec mes parents, en femme déchue, comme diraient les gens. Réduite à néant, elle aurait disparu sans bruit dans la grisaille d'un célibat éternel, pendant que mes parents priaient pour qu'un homme sympathique survienne et l'aime en dépit de tout, sans rechercher un hymen intact.
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La mère posa sa joue sur sa main et fixa la porte où s'était tenue sa fille avec ses cheveux coupés court, tandis qu'elle, son mari et son beau-fils étaient comme trois personnages dans un tableau. Les cheveux courts avaient fait paraître son visage encore plus mince. Elle semblait soudain ordinaire, comme ces milliers de filles qu'on voyait à Delhi, les cheveux courts, l'allure occidentale, toutes banalement séduisantes comme toutes les autres, toutes les mêmes.
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Mes seuls dieux

De Anjana Appachana

Titre original : Incantations and Other Stories Nouvelles traduites de l'anglais (Inde) par Alain Porte

Éditions Zulma (14 mai 2010) • 304 pages • ISBN 978-2-84304-509-7 • Prix éditeur 19,80 €

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