Il faut apprivoiser Bombay, la quadriller, la domestiquer, et, pour y survivre, en connaître les dangers, les échauffourées, les surprises, savoir s'enquérir de ses humeurs comme celles d'une compagne imprévisible, savoir tenir sa place dans le flot de rues et dans le flux des hommes. Shiv s'engage donc, ... [Page 54]
Après sept ans d'absence, Shiv est de retour à Bombay. Il a été missionné par son employeur londonien, une firme de recyclage de déchets, pour un projet d'envergure dans la plus grande décharge de la ville, Gandapur. Sur le papier, il devra dans un premier temps, faire une étude stratégique avec essai sur une zone pilote avant la construction d'une centrale afin d'alimenter en énergie le réseau des nouvelles habitations de la mégalopole.
Mais en Inde, tout est compliqué, et au milluple dans une ville comme Bombay. Il faut lutter quotidiennement pour obtenir ce que l'on veut : tout se négocie, tout se monnaye et il faut l'autorisation des Dons, la mafia hindoue mais également la mafia musulmane, pour toucher à la décharge. Shiv, même avec l'aide de son ami d'enfance, Zubin surnommé Lénine - homosexuel d'origine parsi et social worker - qui connaît très bien la plus grosse décharge d'Inde, et de quelques chiffonniers, la tâche sera ardue. D'autant, que le jeune homme, qui vivra chez sa mère d'adoption Shantiji, se souviendra amèrement de ce qui l'a fait quitter la ville. Alors que Bombay a changé de visage à une vitesse inédite et décontenance Shiv, ce dernier devra affronter les fantômes du passé et prendre conscience de quelques vérités dérangeantes ...
Car finalement, ce n'est pas tant Laleh qu'il a perdue. Non, c'est Bombay. C'est l'Inde. C'est son pays. C'est le pays qu'il a tant aimé qui a disparu. [Page 347]
Dans "Bombay", Marie Saglio, enseignante en anthropologie de l'Inde contemporaine à l'Inalco, nous offre un roman magistrale sur la ville la plus peuplée d'Inde. C'est à travers les yeux d'un expatrié, Shiv, revenu pour une mission de grande envergure, un travail de titan, que l'on découvre (ou que l'on retrouve) cette fascinante ville, véritable fourmilière où se côtoient des habitants des quatre coins du pays et de différentes confessions. Marie Saglio nous emmène dans ce qui est le plus grand bidonville de la ville où vivent "Les ennoyés, les déplacés, les affectés, les exilés. Tous des déchargés", une ville dans la ville, avec ses codes, sa hiérarchie, ses rouages, ses règles et ses lois, ses interdits, ... Bombay, avec sa prodigieuse expansion économique, est devenue l'épicentre du problème des ordures et est donc la ville parfaite pour aborder le sujet des bidonvilles, côté humain, mais également côté environnementale, en parallèle à l'histoire de Shiv. Mais Marie Saglio aborde également d'autres sujets plus sensibles que la pauvreté, la pollution, ... comme la montée du nationalisme et ses conséquences à Bombay et ailleurs dans le pays. L'autrice rappelle les évènements majeurs qui se sont déroulés ces dernières décennies en Inde et à Bombay, tout en contant l'histoire de Shiv et de Shantaji que nous apprenons à découvrir au fil du roman, magnifiquement bien orchestré. De nombreux personnages apportent du corps au roman, Lénine, l'ami à Shiv mais également des chiffonniers qui vivent dans le bidonville-décharge.
Ce roman, modestement appelé "Bombay" offre, dès les premières pages, une lecture très prenante. Marie Saglio, dont son écriture est à la hauteur d'une plume indienne, nous offre une véritable plongée dans la Bombay d'aujourd'hui, avec quelques détours au-delà de ses frontières. "Bombay" qui est bien plus qu'un simple roman est une météorite en cette rentrée littéraire 2023 et connaîtra sans aucun doute un énorme succès tant auprès de lecteurs adeptes de bons romans, que des personnes s'intéressant à l'Inde et/ou aux sciences humaines et sociales et environnementaux.
C'est un autre monde que celui qu'on connaît toi et moi : gouverné par autre chose. Ce n'est pas la vie, c'est la survie. Ce n'est pas un problème de logement. C'est un problème d'espace vital. C'est la loi de la décharge, c'est elle qui donne le rythme, il faut bien la traiter, s'allonger sur elle, la baiser longuement, tu l'épouilles, tu la chatouilles avec ton pic de fer, tu la tries et tu la soulages ! Il ont raison Hari, le Kannada, et les autres, il ne faut pas y toucher, car si la décharge se fâche, ce seront des milliers d'affamés rendus fous. [Page 184]
"Bombay"
De Marie Sagli
Editions Serge Safran - Date de parution : 13 janvier 2022 - ISBN : 979-10-97594-78-7 - 416 pages - Prix éditeur : 21,90 €
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