"Les plus belles mains" de Delhi de Mikael Bergstrand
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"Les plus belles mains" de Delhi de Mikael Bergstrand

Tout ça me donna tellement d'espoir que je pris une décision, qui, à mon échelle, pouvait aisément être qualifiée de radicale : je décidai de rester en Inde ! Göran Borg, l'homme qui avait donné son visage au concept même de dépendance sécuritaire, était sur le point de tourner le dos à sa ville natale, dans laquelle il avait toujours vécu, et de se jeter à corps perdu dans le chaos perpétuel de New Delhi. [...] Je commençais à aimer de plus en plus ce pays, et j'appréciais grandement la chaleur accueillante et la curiosité naturelle des gens d'ici. Et puis, que deviendrais-je sans mon fidèle compagnon Yogi ? On avait beau se connaître depuis peu de temps, je le considérais déjà comme un vieil ami.
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Göran Borg, quinquagénaire, divorcé et has-been, vient de se faire virer après 25 ans de boîte. Heureusement qu'il peut compter sur ses amis de longue date pour lui changer les idées et surtout Erik, le fanfaron de la bande, qui a gardé ses quinze ans d'âge mental. Après avoir découvert que son vieil ami Göran vient de perdre son emploi, Erik l'embrigade direct pour un voyage en Inde où il fait de temps en temps office de guide pour ses compatriotes suédois dans un circuit nommé "L'Inde incroyable". Même pas le temps de réagir, que Göran se retrouve en Inde avec de vieux suédois et son pote comme toujours au-devant de la scène à faire des singeries et avec une fille dans ses filets. À Jaipur, Göran se retrouve malade comme un chien et ne peut plus suivre le groupe, il souffre de graves problèmes d'estomac et se retrouve aliter et seul dans une chambre d'hôtel durant plusieurs jours. Erik devant s'occuper du groupe, fait charger Yogi, une vieille connaissance indienne de récupérer Göran à Jaipur et de le livrer à l'aéroport de la capitale. Mais contre toute attente, Göran se plaît à Delhi et décide de repousser l'échéance de son retour en Suède. Il a élu domicile tout d'abord dans le bel appartement de Yogi, devenu un grand ami. Ce dernier, toujours célibataire à l'aube de ses 40 ans, vit avec son adorable-démoniaque mère. Yogi est ravi d'avoir un ami qui l'accompagne dans ses déplacements quotidiens et lui fait profiter des plaisirs qu'offrent Delhi. Lors d'une séance inopinée de manucure un soir dans l'institut d'un grand hôtel de Delhi avec Yogi, Göran s'amourache de la directrice de l'institut. Heureusement pour lui, cette dernière, au doux nom de Preeti, ne sera pas indifférente à son charme. Cette rencontre bouleversera la vie de Göran, il décide de s'installer à Delhi et de reprendre son activité professionnelle de journaliste. Pour le meilleur et le pire.


"Les plus belles mains de Delhi" est un roman qui m'a surpris. Je m'attendais à un roman drôle et disons ni sérieux, ni profond. Drôle, il l'est sans conteste mais il se veut également sérieux et se prête même quelquefois à la réflexion grâce au personnage de Yogi. C'est vrai qu'au début du roman, le ton est assez léger. On découvre un touriste lambda qui débarque dans un pays auquel il n'est pas préparé (et ne s'est pas préparé), complètement à l'extrême de son Europe et qui lui apporte presque du dégoût, un véritable choc des cultures. De plus, le personnage de Göran est le stéréotype de l'homme complètement dépassé, qui s'est laissé encroûter par son train-train quotidien sans jamais être sorti de sa petite ville suédoise et qui ne s'était jamais remis de son divorce dix années auparavant. Mais au fil des pages, le personnage évolue, sort de sa coquille, s'ouvre au monde, prend des décisions, va de l'avant et apprécie ce pays. En même temps, le roman évolue, il devient plus élaborer, plus intéressant, plus riche, ... L'Inde s'ouvre à nous et précisément Delhi. Delhi est ses fastes mais aussi l'envers du décor, les bidonvilles et l'esclavage moderne mais aussi la violence de certains groupuscules et la corruption. Le roman nous fait également passer un court séjour du côté de Rishikesh, au bord du Gange, où l'on retrouve bien sûr des pèlerins venus des quatre coins du pays mais également des européens assez genre "hippies" dont certains sont sous l'égide de gourous.

Côté personnage, outre Göran, l'on découvre d'intéressants personnages. Yogi, le spirituel, a un rôle important et précieux dans l'évolution du personnage principal. Grâce à sa philosophie, il le ramène dans le droit chemin et lui permet de relativiser et de décentraliser son ego. Yogi est aussi celui qui donnera goût de l'Inde à Göran et lui permettra de découvrir la ville et le pays, sa culture et quelques unes de ses traditions. Yogi s'amusera de la présence de son nouvel ami et se prendra au jeu des différentes investigations que fera Göran pour ses reportages. Mais Yogi n'est pourtant pas un sage, il aime le whisky, fume et aime simplement les plaisirs de la vie. On le voudrait presque nous aussi comme ami. Preeti quant à elle, incarne la femme moderne indienne, non pas parce qu'elle trompe son mari, mais car elle travaille et est assez indépendante dans ses décisions et ses mouvements. Uma est également une femme moderne mais son domaine est plutôt humanitaire. Elle est journaliste et lutte pour le droit des femmes et des enfants. D'autres personnages embellissent le livre et chacun apporte sa pierre à l'histoire.

Le roman se déploie sur une période d'un an, cela permet de découvrir les fêtes et différents phénomènes météorologiques qui rythment les saisons tels que les tempêtes venant du désert du Rajasthan, la mousson, Holi et Diwali. Mikael Bergstrand, l'auteur, est journaliste et bien sûr cela se ressent -par sa méthodologie, sa façon de rédiger le roman et ses descriptions de travail sur le terrain. Il a également vécu et travaillé à Delhi durant quatre ans et l'on imagine qu'il s'est largement inspiré de sa propre expérience pour écrire ce livre. Le roman se veut presque intimiste et tourne souvent en autodérision. En le lisant, il m'a rappelé l'expérience que le journaliste Constantin Simon, auteur de "India Express" a décrit dans son roman également consacré à son métier en Inde (La parution de "Les plus belles mains de Delhi est antérieure à ce dernier roman). "Les plus belles mains de Delhi" est un roman à découvrir, j'ai apprécié sa lecture, ses chapitres courts de quelques pages et l'on ne s'y ennuie pas. L'histoire est très bien construite, l'auteur a bien dosé la longueur de ses sujets et thèmes explorés. De plus, l'histoire est très prenante et elle se lit très facilement, idéal lorsqu'on cherche un livre pour s'aérer la tête et surtout il nous permet de passer un très bon moment.

J'ouvris la fenêtre afin d'avoir un peu d'air. L'odeur d’œuf pourri me prit immédiatement à la gorge. Ma fenêtre avait beau donner sur une arrière-cour, le bruit de l'autoroute venait tout de même résonner jusque-là. Je refermai la fenêtre et retournai me coucher. Les conduites d'eau rugissaient comme des T-Rex affamés. Et comme les murs étaient à peu près aussi épais que du papier à cigarette, j'entendais le mec du Smaland ronfler de l'autre côté. Namaste ? Mon cul.
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"Et maintenant, attention ! C'est le moment où on vous fait subir un traitement de choc, où on vous injecte un peu d'Inde dans les veines, pour que vous vous acclimatez le plus rapidement possible. Mesdames et messieurs, voici ..." Il tendit le micro à Varinder, qui se leva de son siège pour terminer la phrase : "The Real India !"
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Et c'est ainsi que le groupe parvient à traverser une rue très large, sans se faire renverser par les centaines de voitures et de vaches qui jaillissent de tous les côtés. L'odeur d’œuf pourri de New Delhi avait fait place à l'odeur tout de même plus agréable de bouse de vache, mélangée à celles d'épices et d'huile de friture qui provenait de nombreux stands de nourriture alignés le long de la rue.
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- Mais comment peut-on croire en un dieu alors qu'il y en existe tant ? demandai-je. - Retourne la question dans l'autre sens. Comment peut-on ne pas trouver son dieu alors qu'il y a tant de choix ? Il en a bien un qui doit te convenir, non ?" rétorqua-t-il en prenant un flacon de talc. Son raisonnement avait une sorte de logique absurde qui me laissa sans réponse. Il poursuivit, complètement exalté : "Imagine que tu es devant ta tévé, à devoir choisir une chaîne. Eh bien là, ,c'est pareil, prends la télécommande ! A la maison, on a plus de trois cents chaînes, et je trouve toujours un truc à regarder. Moi, je suis sûr que tu finiras par trouver ton dieu, si tu te décides à utiliser ta télécommande."
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Les plus belles mains de Delhi

De Mikael Bergstrand

Titre original : Delhis vackraste hänger

Roman traduit du suédois par Emmanuel Curtil

Éditions Gaia - Date de parution : Mars 2014 - ISBN : 978-2-84720-391-2 - 416 pages - Prix éditeur : 23 €

Éditions Actes Sud - Collection : Babel - Date de parution : Avril 2016 - ISBN : 978-2-330-06137-1- Référence Babel n° 1381 - 448 pages - Prix éditeur : 9,70  €



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