La ville telle qu'elle la rêve, c'est tout simplement ça : New Delhi dans toutes ses couches enfouies les unes sur les autres, le moindre de ses ronds-points, la moindre de ses enclaves, tous les scooters, les voitures, les vélos. Elle a envie de dire aux masses : "Racontez-moi votre histoire et je vous dirai la mienne : je suis la raison pour laquelle vous enfourchez ce vélo, c'est nous qui fabriquons les pièces. Je suis la raison pour laquelle votre camion roule aussi bien, c'est nous qui avons conçu le moteur. Je suis la raison pour laquelle vous pouvez rêver de l'endroit parfait où vous marier, de l'endroit où passer votre lune de miel : mes hôtels sont les meilleurs. De qui suis-je en train de raconter l'histoire ? Mon histoire, c'est la vôtre, et la vôtre, c'est la mienne.
Le plus grand groupe indien 'La Compagnie" a été fondé par Devraj Bapuji, qui est encore à l'heure actuelle le dirigeant. "La Compagnie" est présente dans presque toutes les activités industrielles et économiques de l'Inde : des cimentiers et briqueterie à l'industrie du transport, en passant par les usines de tissu et l'hôtellerie.
Fils d'un maharadja ruiné et décédé prématurément, Devraj Bapuji, roi sans royaume, a construit son empire en se mariant avec la fille d'un pandit du Cachemire, producteur de châles environ dix ans après l'Indépendance. Malgré qu'ils vécurent, lui à Delhi avec sa mère, elle à Srinagar, ils eurent trois filles : Gargi, Radha et Sita. Quelques mois après la naissance de Sita, des émeutes à Srinagar rendirent Devraj Bapuji veuf et les trois filles orphelines de mère. Certes les filles grandirent sans mère, mais eurent une armada de domestiques et de Lotties à leur service, sans oublier leurs compagnons de jeux, les fils du bras-droit de leur père Ranjit Singh : Jeet et son demi-frère Jivan.
A 75 ans, il est l'heure pour Devraj Bapuji de passer le flambeau à ses enfants. La logique voudrait qu'il donne la direction à sa fille ainée, qu'il a baignée très tôt dans son univers. Mais Devraj, en pleine crise mystique, fatigué par l'âge et avant tout mégalomane, est un homme ingérable et imprévisible. Dans "La Ferme" située dans le sud de Delhi, où vivent les membres de la famille et certains de leurs bras droits, règne un véritable chaos. Sita la fille cadette de Devraj et la seule de ses filles qui a fait des études à l'étranger s'est enfui le jour de ses fiançailles. Jeet, le fils de Ranjit Singh, trafiquant d’œuvre d'art a disparu. Radha est allée prendre du bon temps à Goa, laissant Gargi gérer seule la crise. Cette dernière, toujours soumise par tous les membres de sa famille et par son mari, ose enfin s'affirmer grâce aux bons conseils de Jeet, fraîchement revenu des États-Unis après y avoir passé quinze ans.
Une véritable lutte de pouvoir ébranlera l'avenir de la Compagnie et décimera les acteurs de cette success story entrepreneurial. La morale n'y aura pas sa place contrairement aux trahisons et aux machinations.
Qui en sortira vainqueur ?
En Amérique, les pandits parlent de l'Inde-en-Eveil comme ils parlaient des Russes-Prêts-à-Envahir. Ici, ils parlent de l'Inde-qui-Brille. Venez visiter l'Incredible India, l'Inde stupéfiante. Qu'elles s'éveillent, brillent,marchent ou dorment, il connaît les habitudes de l'une et de l'autre. Oui, vraiment il les connaît.
A propos de "Nous qui sommes jeunes"
"Nous qui sommes jeunes" est le premier roman d'une talentueuse auteure anglaise d'origine indienne Preti Taneja. Sa parution en France avait été très discrète mais sa parution dans d'autres parties du globe avait été acclamée par la critique. En effet "Nous qui sommes jeunes" - "We that are young" pour son titre original " est loin d'être un simple roman, c'est un chef-d’œuvre de la littérature qui met en scène ce qui pourrait être la destinée d'une de ces plus influentes et riches familles de l'Inde d'aujourd'hui lorsque la soif de pouvoir prendra le dessus.
"Nous qui sommes jeunes" est la transposition de la tragédie de Shakespeare "Le Roi Lear" dans l'Inde contemporaine. Dans ce roman, le roi Lear est représenté par Devraj Bapuji, un pendjabi au sang royal, Lear et Devraj ont tous deux trois filles. Le Comte de Kent, le fidèle du roi Lear est représenté par Ranjit Kumar avec pour chacun ont un fils légitime et un fils illégitime. Tout comme "Le Roi Lear", "Nous qui sommes jeunes" est un roman divisé en plusieurs parties où disons plutôt plusieurs actes. Chacune de ces parties étant interprétée par les trois filles de Devraj Bapuji et les deux fils de Ranjit Kumar. La sixième et dernière partie est le couperet final. Chaque partie est divisée en deux ou trois chapitres, toutes se terminent par l'intervention de Devraj Bapuji. Deux personnages restent mystérieux jusqu'à ce qu'ils prennent enfin la parole : Jeet le fils de Ranjit Kumar et Sita la fille de Devraj Bapuji. Cette tragédie indienne comporte un nombre foisonnant de personnages évoluant en parallèle à ces différents narrateurs. Effectivement, il n'est pas toujours évident de comprendre et de mémoriser la fonction de chacun au cœur du roman, d'autant plus que certains n'hésiteront pas à jouer dans plusieurs camps, mais tous ces personnages apportent de la matière à l'ensemble. Dans ce roman, l'auteure est restée fidèle à ce que pourrait être un dialogue entre personnes de ce "milieu" en Inde, de l'anglais parsemée de phrases et de mots en hindi. Pour le lecteur ne comprenant pas l'hindi, la traduction de ces dialogues se trouvent la plupart du temps en bas de page mais malheureusement pas toujours ...
De Delhi à Srinagar, en passant par Goa et Amritsar, "Nous qui sommes jeunes" est un roman qui se déroule exclusivement en Inde. Le lecteur y découvre la vie dans l'enclave d'une riche propriété du Sud de Delhi, dans les hôtels luxueux, les problèmes de riches mais ce roman n'oublie pas de nous relier à une réalité moins superficielle, en posant son décor un temps dans un bidonville d'Amritsar. Même si l'histoire des Devraj et des Kumar est entièrement fictive, Preti Taneja a clairement trouvé son inspiration dans la réalité. Pour recréer cette saga familiale, ne s'est-elle pas inspirée des Ambani, des Mittal, des Tata, des Gandhi, ... L'Inde d'aujourd'hui - le Cachemire, le nationalisme, les emprunts, la vente des semences stériles, la main-d’œuvre venant de l'Inde rurale, les bidonvilles jouxtant des hôtels de luxe ... - est tapie derrière ce roman et est prête à surgir à n'importe quel moment.
"Nous qui sommes jeunes" est avant tout une tragédie, une autodestruction amorcée par le patriarche et qui fera couler beaucoup de sang. La folie de l'homme dans toute sa noirceur et sa viciosité est représentée. Sexe, drogue, alcool, corruption, adultère, châtiment, meurtres et bien d'autres vices ont leur place dans le roman. Certaines relations entre les personnages sont devinées, mais trop perverses pour clairement exprimées. La soif de pouvoir pousseront les personnages dans des manigances qui vont au-delà de toute valeur morale et certains des personnages qui pourront passés pour des personnes respectables finiront par être les pires d'entre tous. "Nous qui sommes jeunes " est une tragédie où les rebondissements sont nombreux et l'expression "sans foi ni loi" est la mieux illustrée.
"Nous qui sommes jeunes" est un roman explosif et magistral. Une beauté pour décrire ce que l'humain a de plus laid.
L'odeur est d'une telle richesse : la dense saveur épicée de l'argent. Cuir de vachette et ornements en noisetier. Jeet s'y blottit, comme s'il retournait dans le ventre maternel. Lorsqu'il ferme les yeux et inspire, c'est comme si le bidonville n'existait pas, n'avait jamais existé. Pendant un moment, il a envie de s'agripper à la vitre et de crier : "Laissez-moi sortir !" Mais personne ne l'entendrait et pe.rsonne ne viendrait à son secours. Jeet succombe aux ronronnements de la voiture, à sa charmante berceuse. "Nous qui sommes jeunes". Il laisse retomber sa tête et s'endort.
Nous qui sommes jeunes
De Preti Taneja
Titre original : We that are Young
Traduit de l'anglais (Angleterre) par Guillaume Contré
Les Éditions L'Observatoire - Date de parution : 6 mars 2019 - ISBN : 979-1032904053 - 592 pages - Prix éditeur : 24,90 €
Prix en 2018 du "Desmond Elliot Prize"
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