Krishnakali dit Krishna est un miracle dans sa famille. Sa naissance a rompu une malédiction vieille de près de 500 ans qui règnait sur la famille Rathore en étant le premier bébé de sexe féminin à naître. Le résultat provenant sans doute de la détermination de sa grand-mère Dadiji, qui a tout mis en oeuvre pour que ce miracle arrive : pujas, pélérinages de tous les membres de la famille dans toutes les villes sacrées de l'Inde, ... Même l'oncle Guruji qui, après s'être purifié dans un lac sacré à la demande de sa mère pour conjurer cette malédiction, a décidé de devenir un ascète, malgré une carrière toute tracée après de brillantes études. En l'absence de ses parents qui voyagèrent à travers le monde, Krishna a grandi auprès de ses grands-parents. Ils vécurent entre Delhi où son grand-père dit "Baba" auditionnait à la Cour Suprême et le village de Sikardih où sa famille possède une haveli, Baba y étant chef de village. Krishna a ensuite quitté l'Inde pour faire des études de cinématographie aux Etats-Unis. Une année après que sa Dadiji ait quitté ce monde, Krishna se retrouve à Sikardih avec une mission donnée par sa grand-mère : celle de filmer Damayanti. Damayanti est une avocate de la Cour Suprême, une femme moderne, féministe avant l'heure, qui prépare la mort de son mari atteint d'une maladie grave. Mais Damayanti se prépare à se faire "sati" c'est à-dire s'immoler sur le feu funéraire de son mari. Krishna deviendra amie et confidente de Damayanti. Elle la filme, la suit jusqu'aux différentes séances au tribunal où elle avait déposé sa requêté à devenir sâti. Krishna essayera de comprendre son geste en fouillant dans son propre passé. Ce passé où les rires de Dadiji résonnent encore tout comme ses histoires sur les ancêtres de la famille Rathore - sur le dharma, sur Mira qui écrivit d'immortelles chants d'amour pour son bien-aimé et qui avait mis cette malédiction sur la famille Rathore (Mira est devenue veuve très jeune, mais elle n'a pas respecté les conventions sociales qui veulent que, dans sa belle-famille, les veuves respectent le rite de la "sati" et qui fut ensuite rejeté par sa propre famille avant de parcourir l'Inde à chanter), ... Dans son esprit, Krishna se retrouvera coincé entre l'Inde traditionnelle et familiale. Elle se souviendra de son premier amour Natchek qui l'avait quitté car il ne comprit pas l'attachement de Krishna aux valeurs familiales et ancestrales. Krishna se verra parfois à sa propre surprise, comme une vraie Ragore, une vraie guerrière pour mener à bien le dernier souhait de sa grand-mère, à monter des plans et prendre des décisions comme avait vu faire son Baba autrefois. Mais surtout elle essayera d'aider Damayanti a exaucé son voeu le plus cher. L'auteur déplace son roman entre deux mondes complètement différents. D'un côté les Etats-Unis un monde moderne, libre et loin des traditions. L'on voit aussi son côté sombre comme le sentiment d'être étrangère et d'être considéré comme telle. De l'autre côté, l'Inde avec le Rajasthan. On découvre le passé guerrier de la famille de Krishna, son appartenance à une de ses grandes anciennes grande lignées, l'héritage de ses grands-parents, son oncle ascète, la force spirituelle, la fierté, la douleur ... On peut considérer que ce roman est fondé sur l'introspection et surtout sur la recherche d'une identité mais aussi sur "la préservation d'une culture à l'originalité profonde et à sa force inaliénable dans un monde qui tend à l'uniformisation des systèmes de pensées". C'est un roman fort et poignant où l'on découvre une vraie identité à ce pays. On y trouve des personnes très attachantes ancrées dans une grande tradition.
Comment expliquer que l'on puisse tomber amoureux d'un lieu ? Même pour une personne, l'amour perd tout son sens quand on essaie de le mettre en mots. Et l'amour pour une ville, pour un lieu est plus délicat, plus difficile à exprimer, impossible à expliquer. La première fois que j'ai vu la ville, c'était du côté ouest, sur une portion de l'autoroute parallèle à l'Hudson. Elle surgissait de l'eau, son reflet argenté brillait à la lumière du soleil. Telles les facettes de diamants, ses innombrables fenêtres attrapaient la lumière du soleil et luisaient du feu intérieur si indispensable à une gemme parfaite. Le fleuve luisait paisiblement tout autour, comme une grande douve gardant une précieuse forteresse. A l'une des extrémités, bijoux suprêmes, deux grandes tours s'élevaient dans le ciel. Comme un pays dans quelque histoire de magie, de dragons, de grands guerriers. Comme la couronne destinée au plus grand de tous les guerriers, au plus grand de tous les rois mythiques.
Sous l'oeil de Krishna
De Sunny Singh
Titre original : With Krishna's eye
Roman traduit de l'anglais (Inde) par Nathalie Bourgeau
Editions Philippe Picquier (2008) - Collection Grand Format - ISBN : 978-2809700039 - 366 pages - Prix d'origine : 22 €
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