"Tea Time à New Delhi" de Jean-Pol Hecq
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"Tea Time à New Delhi" de Jean-Pol Hecq

Longtemps, il a refoulé ce souvenir, et voilà soudait qu'il ressurgit, ici et maintenant, à l'autre bout de la terre, sous le regarde de cet homme impassible qui sourit sans le juger. "Au fond, qui est-il vraiment ?, se demande Ernesto. Et moi, qui suis-je ? Un homme blanc de trente et un ans, Argentin de naissance, Cubain d'honneur, révolutionnaire, combattant de la liberté, diplomate improvisé, médecin dévoyé, amoureux transi, curieux de tout, mort en sursis mais vivant à jamais. Suis-je du peuple ou suis-je le peuple ? Et comment finirai-je ma vie ? En plein combat, sacrifié sur l'autel de la Révolution ? Ou bien dans mon lit, à quatre-vingt-dix ans, statufié de mon vivant, maintenu en vie à coup de perfusions et de traitements coûteux, momie parmi d'autres momies .. ?


Première partie de critique Le nom Che Guevara est associé à Cuba, à la révolution cubaine et à son effigie, gravée dans le marbre par Alberto Korda. Mais l'on oublie souvent que cette grande figure mondiale a été un grand voyageur. Dans "Sur la route avec Che Guevara" et "Carnet de route à motocyclette", deux carnets de route racontant la même aventure, on retrouve déjà Ernesto Rafael Guevara de la Serna de son vrai nom, sillonnant l'Amérique du Sud en motocyclette - de la Bolivie au Venezuela en passant par le Pérou et la Colombie - avec son ami d'enfance Alberto Granado. Un voyage qui influencera indéniablement l'avenir et la façon de voir le monde d'Ernesto. Un Ernestro qui deviendra le Che avec la révolution cubaine et qui se rendra aux quatre coins du globe pour des voyages diplomatiques à la rencontre des grands dirigeants de cette époque. Che Guevara sera alors un grand voyageur de long-courrier alors que dans les années 1950-60 l'aviation civile n'était qu'à ses débuts. Che Guevara se fera exécuter en 1967 à l'âge de 39 ans en Bolivie. Dans "Tea Times à Delhi", son auteur Jean-Hol Hecq a imaginé ce que pouvait être la visite officielle de Che Guevara en Inde en juillet 1959 où il rencontrera deux figures politiques et emblématiques indiens. Nehru qui était alors Premier Ministre et Indira Gandhi, alors qu'elle vient de prendre la présidence du Parti du Congrès et qui deviendra elle-même Premier Ministre un an avant la disparition du Che en 1966. Jean-Pol Hecq a imaginé ce qu'aurait pu être la rencontre d'Indira et d'Ernesto, deux êtres qui avaient beaucoup de points en commun. Pourtant à travers ce roman, il nous offre bien plus qu'une simple histoire reprenant une visite diplomatique historique.


Résumé de texte Juillet 1959 Après leur visite officielle au Caire pour y rencontrer Nasser, Che Guevara accompagné de José Mendoza Argudín, Omar Fernández Cañizares, Francisco García Val, Salvador Vilaseca et  Julio Roberto Cáceres continuèrent leur tournée à travers le monde, direction cette fois-ci l'Inde et Delhi. Che Guevara a toujours rêvé se rendre dans le pays du Mahatma Gandhi et d'y rencontrer le père de l'indépendance de l'Inde, le Premier Ministre Nehru. La délégation cubaine sera très vite accueilli, comme il se doit, par Nehru avec l'échange de cadeau. Même si les différentes rencontres que fera Che Guevara durant sa visite en terre indienne seront très riches et très intéressantes, une rencontre le marquera profondément. Celle avec la fille de Nehru, Indira Gandhi, dont il fera connaissance lors du dîner officiel. Indira et lui ont beaucoup de choses en commun : la langue française, une grande culture, un grand goût pour la littérature, certaines idées politiques, une situation personnelle difficile, une grande aura, ... Une alchimie a lieu entre eux, au point qu'Indira programmera des rencontres avec Ernestro dans le plus grand secret.  A pars ces quelques rares rencontres avec Indira,  Che Guevara réussira à voler quelques moments de liberté durant ce voyage officiel en Inde. Il le sait, même s'il n'en fait rien paraître, que ses déplacements sont suivis de près par des services secrets indiens, russes, anglais et même américains. Ils seront à ses trousses, aux aguets. Certains essayeront de le protéger, d'autres d'atteindre à sa vie. Mais il n'est pas encore temps pour Ernesto Guevara de la Serna de mourir car son voyage n'est pas encore terminé, pour le moment du moins, car "Seuls ceux qui savent mourir d'instant en instant peuvent éviter d'entreprendre avec la mort un impossible dialogue".


Seconde partie de critique "Tea Time à Delhi" apporte donc une intéressante lecture. Il ne faut pas oublier que c'est à la base un "exofiction", un roman inspiré de la vie d'un personnage réel mais pour lequel son auteur s'est autorisé à combler les trous en y insérant des éléments de fiction et quelques situations rocambolesques. En effet, très peu d'éléments existent sur le voyage d'Ernesto Che Guevara à pars quelques (rares) documents d'archives. M'étant moi-même intéressée par le passé, je ne sais que trop bien la difficulté qu'a pu avoir son auteur pour y rassembler ne serait-ce que ces éléments. Malgré cela, le résultat est à la hauteur. J'ai trouvé que Jean-Pol Hecq reste très fidèle à la situation politique de l'époque aussi bien pour Cuba que l'Inde. Il n'oublie pas d'enrichir son texte en ne se focalisant pas uniquement sur Che Guevara, ses compères et leurs déplacements, mais en y intégrant un certain nombre d'acteurs : Nehru, Indira Gandhi et les agents secrets. Il y a ajouté la menace qui faisait constamment partie du quotidien de Che Guevara, des tentatives d'élimination de ce leader. Il est également intéressant que Jean-Pol Hecq se soit penché sur les points communs entre Indira Gandi et Che Guevara. Il en ressort de nombreux éléments en adéquation dont celui que tous deux avaient une grande culture générale - grâce à une bonne éducation, l'un et l'autre venaient d'une famille aisée. Une grande culture associée à une maîtrise de chacun de la langue française, l'on peut s'imaginer que nombre de barrières auraient pu être ouvertes entre eux et nombre de sujets de discussions pouvaient alors été abordés. Par contre, une des rencontres que fait mention l'auteur dans ce roman est difficile, pour moi, à visualiser, celle du Che avec Krishnamurti. Elle apporte, certes, un petit soupçon de philosophie au roman mais pour autant est-ce possible ? En plus des rencontres que fera Che Guevara, ce dernier connaîtra de l'Inde d'autres lieux que Delhi. Outre la capitale indienne et ses environs, Che Guevara et l'ensemble de la délégation cubaine se rendront au Pendjab, Agra et Calcutta. "Tea Time à Delhi" est un roman qui m'a surpris. La lecture de la quatrième couverture m'a fait croire à un roman basé principalement autour de la rencontre entre le Che et Indira Gandhi. Pourtant, le roman nous apporte bien plus :  une page d'histoire. Une page d'histoire certes à la sauce "fiction", mais la trame de fond a bel et bien exister. Le lecteur est plongé à cette époque où l'Inde et Cuba, venaient d'éclore. L'un se remettant à flot de près de 150 ans de domination britannique qui a profondément marqué le paysage et le fonctionnement du pays. L'autre, nouveau-né, sortant à peine d'une révolution, une révolution contre Batista et les américains. Entre eux, la Guerre Froide opposant l'URSS et les États-Unis et un Monde qui essaye toujours de se reconstruire de la Seconde Guerre Mondiale qui a fait voler en éclat nombre de repères. J'ai aimé "Tea Times à Delhi" car simplement j'aime l'histoire. C'est un roman sans grande prétention et bien dosé, avec un auteur qui beaucoup de considération pour l'Inde.


La haine peut-elle être un sentiment positif ? Indira en doute. Tout son être, tout ce que son père et sa mère lui ont transmis, tout ce que Tagore et le Mahatma représentent pour elle, tout lui dit que non. Et pourtant, elle sait bien que, dans la réalité, le monde est plein de colère. La politique n'est d'ailleurs bien souvent que la face visible de la boule de haine logée au coeur de chaque nation. Le ressentiment, la vengeance, la peur et l'envie sont les véritables moteurs de l'humanité. Et non pas l'amour, la fraternité ou la recherche du bien commun.



 

Tea Time à New Delhi

De Jean-Pol Hecq

Éditions Luce Wilquin - Parution le 19 mai 2017 - ISBN 978-2-88253-534-4 - 240 pages - Prix éditeur : 20 €





En collaboration avec Babelio à l'occasion de la Masse Critique de mai 2017 (une demande de participation faite depuis Chiang Maï en Thaïlande) et la maison d'éditions Luce Wilquin. Publication à l'occasion du 50ème anniversaire de la mort de Che Guevara (octobre 1967) et du centenaire de la naissance d'Indira Gandhi (novembre 1917).



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