"Feux sacrés" de Cécile Guilbert 🇫🇷

Véronique Schauinger
19 oct.
3 min de lecture

Dernière mise à jour : 27 oct.

#littératurefrançaise #éditionsgrasset #cécileguilbert #deuil #grasset

J'ai tenu pour la première fois un journal et tâché de mettre en pratique les anciens conseils qu'elle me donnait, "savoir ce que l'on voit, le comprendre, ressentir une émotion et savoir en parler". Elle m'a offert son agonie et je l'ai saisie. Une offrande sans prix qui resservira hélas, puisque tous ceux que nous aimons vont mourir. (Page 153)

Avec "Feux sacrés", Cécile Guilbert, auteure d'une œuvre composée d'essais, de récits, de romans, ... nous convie à un voyage intérieur d’une grande intensité. Elle ouvre les portes de sa vie intime pour raconter la métamorphose d’une femme rebelle, qui sera confrontée aux épreuves, puis transformée par une lente et profonde conversion spirituelle. Ce livre n’est pas simplement un récit autobiographique : c’est la cartographie d’une âme en quête de vérité, un témoignage où chaque souvenir devient une marche vers un éveil intérieur.

Dès les premières pages, l’autrice remonte le fil du temps et déroule les étapes fondatrices de son existence. Son enfance est marquée par la figure autoritaire de sa grand-mère, autoproclamée mère de substitution, qui « régnait sur [sa] jeune existence en despote », et par une mère effacée, presque soumise. À l’adolescence, la rébellion éclate : drogues, sexualité, alcool, provocation – tout devient prétexte à dépasser les limites malgré les protestations de son entourage. Puis vient l’âge adulte, où Cécile Guilbert revendique un “nietzschéisme arrogant”, nourri d’un rationalisme sceptique et d’une profonde ironie envers toute forme de croyance ou de spiritualité, qu’elle associe volontiers à la crédulité ou aux “gurusseries” de sa tante et de son oncle.

Mais la vie se charge de fissurer cette armure intellectuelle. La mort, brutale et répétée, vient frapper à sa porte. Chaque disparition est un électrochoc qui l’oblige à regarder autrement, à respirer autrement. C’est dans ce mouvement de bascule que s’opère la transformation : l’esprit qui se voulait purement critique s’ouvre soudain à une dimension plus vaste, celle du sacré, de l’invisible, de l’insondable. L’Inde apparaît alors non comme une destination exotique, mais comme une matrice spirituelle, un lieu intérieur autant qu’extérieur, source de rituels, de symboles et de silence habité. C’est là que Cécile Guilbert réapprend à être, à penser et à sentir.

Le contraste entre la jeune femme de vingt ans, toute entière tournée vers la littérature, la philosophie et les excès de la pensée, et la femme plus mûre, apaisée par l’expérience de la perte et de la transcendance, est saisissant. On assiste à une véritable traversée du miroir : ce n’est plus l’intellect seul qui gouverne, mais une quête d’unité entre le corps, l’esprit et l’âme.

"Feux sacrés" se situe à la croisée des genres : récit intime, voyage initiatique et méditation philosophique. L’écriture de Cécile Guilbert est libre, d’une intelligence ardente, parfois ironique, toujours juste. Elle ne cherche pas à édifier, mais à partager une expérience vivante, vibrante, qui interroge profondément le lecteur. Qu’est-ce que vivre ? Que signifie mourir ? Où se tient la frontière entre l’ego et le sacré ? Ce livre ne donne pas de réponses toutes faites, mais offre une lumière, un souffle, une possibilité : celle de renaître à soi.

"Feux sacrés" est de ces livres qui marquent un tournant – dans la vie de son autrice comme dans celle de quiconque ose le lire avec le cœur ouvert. Ces derniers seront ceux qui apprécieront cette lecture originale.

29 novembre / 29 décembre / 29 janvier : un champ magnétique opère entre ces trois dates et ce nombre. Un lien les relie - d'amour et demot, et donc de vie - que ce voyage dans le temps a reconfiguré. Car j'ai ouvert la boîte noire et retrouvé ce que je savais y être sans bien savoir ni comprendre comment tout allait se réagencer. (Page 383)