"Une Terrasse sur le Gange" de Pankaj Mishra
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"Une Terrasse sur le Gange" de Pankaj Mishra

Au cours des mois qui suivirent cette soirée, je devais apprendre à connaître toutes ses humeurs et toutes ses attitudes, la voir dans toutes les tenues possibles et imaginables et à toutes les heures du jour ; lesquelles resteraient gravées à jamais dans mon esprit envoûté. Mais cette image d'elle, assise très droite sur le tapis de jute, pinçant d'un air distrait les cordes du tampura, son visage lisse et parfait baigné de la lumière dorée répandue en flammes dansantes des diyas, qui m'est restée avec le plus de netteté et qui, dans mon souvenir, illumine encore aujourd'hui cette soirée de rayonnement.
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C'est lors d'un hiver rigoureux de 1989, que Samar arrive à Bénarès, la ville sainte entre toutes. Il est scolarisé à l'Université d'Allahabad, une université passée à une époque pour l'Oxford de l'Orient. Mais depuis l'Indépendance, elle a perdu de sa splendeur pour donner place à des conflits permanents où les affrontements ne sont pas toujours exempts de violences. À peine arrivé à Bénarès, la chance lui sourit, on lui propose une chambre certes minuscule sur le toit d'une maison vétuste, mais qui offre un emplacement rare dans la ville, au bord du Gange. Samar a toujours vécu comme un solitaire et vit une période difficile à l'aube de l'âge adulte. Il n'a pas grandi auprès de ses parents car il a toujours été en pension et aujourd'hui sa mère est décédée et son père s'est retiré dans un ashram à Pondichéry. Son refuge a toujours été les livres. À Bénarès, Samar passe son temps entre lire sur son lit et aller à la bibliothèque de l'université de Bénarès qui se trouve à quatre kilomètres de son lieu de résidence. Mais sa vive à Bénarès sera différente de celle d'Allahabad grâce à sa voisine de chambrée. Miss West, une anglaise d'âge mûre, installée depuis de nombreuses années en Inde, lui fera découvrir un nouveau monde. Avec elle, Il fréquentera ces occidentaux venus en Inde et à Bénarès à la recherche de mysticisme, de spiritualité et d'exotisme. Mais Samar sera surtout hypnotisé par Catherine, une jeune française venue de France.


"Une terrasse sur le Gange" est un roman très complet abordant différents thèmes. Le principal, je dirais, est l'introspection, décrite à travers le personnage de Samar, un jeune homme entrant dans l'âge adulte alors qu'il a été détaché très tôt d'une vie familiale équilibrée et loin de tout repère. Samar se rendra à Bénarès dans l'espoir de retrouver une certaine stabilité mais le peu qu'il possédait à son arrivée se retrouvera mise à mal. Le sujet de l'introspection est également entre-aperçu à travers le personnage de Miss West et de ces touristes occidentaux qui espèrent trouver un certain sens dans leur vie en Inde, loin de leur vie trop monotone et confortable en Occident, mais qui recherchent également de quoi la pimenter en s'essayant à des pratiques mystiques et aventurières souvent inconscientes. Le roman met aussi un point d'honneur sur l'interaction entre Orient et Occident, à rapport aux rencontres que fait Samar à Bénarès, mais également à travers ses lectures assez occidentales - Edmund Wilson et Flaubert - en contradiction avec les lectures épiques de son père. Les rencontres occidentales que fait Samar est un véritable choc des cultures pour lui, il devient spectateur de ces manières occidentales, entre fascination et déconvenue, de cet étalage sans tabous, sans gêne et sans pudeur. Mais Samar deviendra malgré lui participant, en se laissant entrainer dans la vague, guidé par sa naïveté, ces sentiments nouveaux et par la curiosité. Il en ressortira de cette expérience affaiblie et surtout très marqué. Une marque quasiment indélébile qui aura un véritable impact dans son futur très proche et dont le lecteur découvrira ses aboutissements loin de ses projets initiaux.

"Une terrasse sur le Gange" n''hésite pas à utiliser les clichés indiens pour les mettre dans le bon contexte de manière subtile avec une pointe d'ironie. De plus, l'auteur n'hésite pas à montrer les bons mais surtout les mauvais côtés de son pays. L'on découvre que Samar aime son pays tout en ressentant une espèce de dégoût. Pankaj Mishra, nous apporte sans doute sa propre expérience lorsque lui-même avait vingt ans dans une université censée être prestigieuse mais dont le tableau réel est plutôt un lieu de tension et de conflit, une université qui se meure sur les ruines de sa splendeur. Au fil de la lecture, nous découvrons l'état d'esprit de la fin des années quatre vingt, début des années quatre vingt dix, par exemple l'échec de Rajiv Gandhi aux législatives ou la naissance du conflit Ayodhya et ses conséquences. On y découvrira également une Bénarès où s'y trouve la mafia, des tueurs à gages et l'on aura un bref bilan de sa métamorphose en l'espace de sept années, une ville devenue laide à cause de ses hôtels, ses fast-food et les publicités trop tape à l'oeil. Dans "Une terrasse sur le Gange", Pankaj Mishra nous offre un voyage à travers l'Inde car le roman ne s'arrête pas à la seule ville de Bénarès mais nous transporte à Mussoorie, Pondichéry et Dharamsala. Mussorie que j'ai découvert sous un autre angle que celui que je connaissais.

"Une terrasse sur le Gange" dont le titre original "The Romantics" décrit surtout la découverte de l'amour par un indien pour une jeune française, un amour sans avenir pour différentes raisons. L'on ressent un trouble émotionnel très fort, très compréhensible pour un jeune homme qui a grandi dans une culture où les mariages sont arrangés et dont l'amour devrait venir après le mariage et non l'inverse. J'ai beaucoup apprécié la lecture de ce roman et que je recommande car elle apporte beaucoup de réflexion. Le début a été difficile car il est principalement tourné sur les Occidentaux et leurs manières ont le don de m'exaspérer. Peut-être est-ce voulu par l'auteur. Mais heureusement la situation se retourne et l'on découvre ce que l'auteur a réellement voulu partager dans ce roman. Il nous fait découvre différentes nuances d'interactions, sa perception du caractère et ses subtilités. Le roman est perspicace, profond et très équilibré. C'est un livre à la fois beau et triste et apporte une lecture captivante et délicate.



Mes rencontres avec les autres amis de Catherine ne connurent pas davantage de succès. Une fois franchie la barrière de la langue (...), nos conversations s'enlisaient dans les préjugés et l'artifice. Ces gens étaient incapables de voir l'Inde autrement que comme un foyer plus ou moins pittoresque d'analphabétisme, de pauvreté et de fanatisme religieux : au retour de leurs excursions de Bénarès, ils parlaient avec animation de sadhus debout sur une seule jambe depuis dix ans, d'enfants estropiés mendiant dans les rues et les énormes rats qu'on voyait courir jusqu'à dans la moindre ruelle.
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En dehors de celles de ma famille, je ne connaissais aucune femme. Ce que je savais de l'amour, cette composante la moins réglée mais la plus naturelle de l'existence, était purement livresque, et je suivais l'exemple des gens de mon milieu et de ma culture quand je le soupçonnais précisément de n'être point naturel. Dans l'univers qui avait été le mien, l'amour romantique était méprisé, considéré comme une sorte de dérangement des sens susceptible d'affecter brièvement des jeunes gens insuffisamment cultivés et "brahmanisés" pour les laisser aussitôt après meurtris et sans illusion.
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J'avais été attiré par le prestige du nom de l'auteur en même temps que par celui de la collection, Penguin Classics. Mais j'étais passé à côté du roman, comme de tant d'autres ouvrages à l'époque ; je l'avais trouvé terne et trop long. J'avais malgré tout persévéré jusqu'au bout, mais avec l'obstination du coureur de marathon qui veut à tout prix terminer l'épreuve alors qu'il est vidé depuis longtemps de toute énergie.
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Le monde est maya, illusion : c'est là une des premières choses que mon père m'ait jamais dites. Si, pour un enfant, cette idée est dénudée de sens, les épreuves de l'âge adulte ne font rien pour lui en donner. Déceptions et désirs ne cessent de vous assaillir, vous découvrez constamment de nouvelles manières de vires bonheurs et chagrins, cependant que l'idée d'illusion, jamais tout à fait comprise, finit par se dissiper. Le monde dans lequel vous vivez devient alors la réalité suprême, ce monde dans lequel il vous faut continuer à vivre, que vous surmontiez ou non vos chagrins personnels.
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Une Terrasse sur le Gange

De Pankaj Mishra

Titre original : The Romantics

Traduit de l'anglais par Jean Demanuelli

Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du livre

Éditions Calmann-Lévy - Date de parution : 5 février 2003 - ISBN : 978-2702133514 - 295 pages - Prix éditeur : 18,25 €



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