Le pouvoir des mots est sans limites, sans faille, il s'impose aux choses, aux faits, à nos idées et à nos sentiments. Mais parfois les mots sont là pour mieux faire entendre le silence, l'encercler comme une petite margelle entour un puits. Dans, cet espace limité le silence devient infini, insondable.
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Trisha a quitté Paris pour revenir à Calcutta après une longue absence. Étant fille unique, elle a le devoir d'effectuer les rites funéraires pour son père décédé. Depuis le hublot de l'avion, elle ne reconnaît plus la ville de sa jeunesse. Une nouvelle ville est entrain d'absorber celle de ses souvenirs et depuis le plancher des vaches les changements sont encore plus impressionnants. Mais il n'y a pas que la ville qui a changé mais également la vie de Trisha. Après la crémation de son père, Trisha retrouve la maison de son enfance. Chaque pièce, chaque mur, chaque marche, chaque rebord de fenêtre, chaque meuble, chaque fissure, chaque tâche lui rappelle la vie qu'elle a passée ici avec ses parents et sa grand-mère paternelle. Une maison qui fait aujourd'hui office de tombeau, où ne subsite que des objets poussiéreux, ombres du passé, pour témoigner de la vie qui y régnait. Une couette rouge où son père Shankhya cachait son revolver ou ses livres, un flacon à l'odeur d'hibiscus qui permettait de calmer sa mère souffrant de mélancolie chronique et le lit aux pieds coupés de sa grand-mère. Pour autant, les souvenirs de sa famille ne doivent pas être oubliés car ils sont étroitement liés à l'histoire de ce pays qui a vu naître et grandir Trisha. Son père avait été professeur de sciences à l'université mais il a été avant tout militant au Parti Communiste. Il avait eu la chance de ne jamais être arrêté, torturé ou simplement tué à l'époque où Indira Gandhi était le leader du Parti du Congrès et avait instauré l'état d'urgence. Sa grand-mère, Annapurna, même si elle avait vécu dans une maison d'argile avec ses enfants où elle leur racontait les légendes de sa famille, elle était issue d'une famille de seigneurs d'un village possédant un manoir à la frontière avec le Bengale occidentale, devenu ensuite le Bangladesh.
"Calcutta" est un véritable bond dans l'histoire indienne grâce aux souvenirs de Trisha. En revenant sur sa terre natale, elle remue les cendres de son père pour se replonger à une autre époque. Celle où elle attendait son père, son héros, à la fenêtre de la maison familiale et qui par ses activités politiques risquait de ne jamais retrouver son foyer en fin de journée. À travers lui, figure centrale du roman, Trisha nous raconte les grandes lignes de l'histoire contemporaine du Bengale. Trisha évoque aussi toute une lignée de femmes dont elle est en bout de ligne. Il y a d'abord sa mère Umrila, enseignante en littérature et sujet à d'éternelles crises de mélancolie qui affectent l'équilibre familial. Annapurna, la grand-mère, venue de son village pour vivre "les temps modernes" avec son fils préféré à Calcutta et qui regrette que son fils se soit marié avec cette femme malade. Enfin l'arrière-grand-mère, Ashandi que l'on retrouve en dernière partie du livre. Ashanti qui signifie "malheur" (le contraire de Shanti qui signifie paix) et qui a vécu sans doute un siècle en arrière, à l'époque où l'Inde était sous domination anglaise mais où les indiens aspiraient à l'Indépendance avec la venue de Gandhi. Elle a été veuve et est devenue courtisane pour un riche seigneur. Trisha, ou Shumona Sinha, n'hésite pas à évoquer des faits plus récents tels que le mouvement qui a soulevé le Darjeeling ou les évènements d'Ayodhya et ses émeutes meurtrières. Ce roman est empreint de nostalgie, presque intimiste et bouleversant. On s'y demande si Trishna n'est pas en réalité Shumona Sinha. Malgré quelques incohérences, il est une véritable rétrospective de l'histoire indienne tout en combinant une saga familiale ballante. Ce que j'ai apprécié, c'est d'y retrouver ces petites bribes d'histoires que j'avais retrouvé dans de nombreux romans comme pour exemple : "La Perte en Héritage" de Kiran Desai, "La mère du 1084" de Mahasweta Devi et "Les trois erreurs de ma vie" de Chetan Bhagat pour ne citer que trois. Bien évidemment dans ce roman, on y retrouve les coutumes indiennes (par exemple le rituel de la crémation et le devoir de veuvage) ainsi que les valeurs familiales et le respect des aînés. Mais ce roman dépeint dans les premiers chapitres, un pays en pleine mutation où le paysage urbain vit une véritable transformation. Bref, une très belle lecture notamment pour ceux qui aime les histoires de famille et l'histoire tout simplement.
La mort de mon père m'a arraché à ce tunnel sans fin et je vois à nouveau le monde autour de moi. La maison vide me fait du bien, chaque meuble est un tombeau de silence où je devine, dans les infimes fissures, les bestioles surprises par mes pas, qui s'enfuient ensuite.
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Désormais son nom était rien moins que banal; Annapurna avait la même signification que Durga, la déesse qui, une fois le démon terrassé, nourrit les pauvres humains, de riz, d'anna. Mais elle Annapurna, n'aviat sans doute pas eut assez pour nourrir ses petits, grelottant de froi et de panique, sur le plateau soudain désert, une fois que les bonnes gens de la colline avvaient emporté le corps du défunt.
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Calcutta
De Shumona Sinha
Éditions de l'Olivier - Date de parution : 2 janvier 2014 - ISBN : 978-2823600391 - 207 pages - Prix éditeur : 18 €
Prix du rayonnement de la langue et de la littérature françaises, décerné par l'Académie Française
Grand Prix du Roman de la Société des gens de lettres
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