"La Cité de la Victoire" de Salman Rushdie
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"La Cité de la Victoire" de Salman Rushdie



La cérémonie funéraire du premier roi de Bisnaga provoqua un moment solennel qui, comme Pampa Kampana le dit à Bukka, constitua le dernier acte de la phase de naissance d l'histoire de l'empire. "La mort du premier roi c'est aussi la naissance d'une dynastie, c'est l'histoire. En ce jour, Bisnaga quitte le royaume du fantastique pour entrer dans celui de l'histoire et le grand fleuve de son récit se déverse dans l'océan des récits qui constitue l'histoire du monde." [Page 85]



"La Cité de la Victoire" est le roman épique, fantastique et magistrale que nous attendions de Salman Rushdie. L'écrivain américano-britannique, né à Bombay, nous amène sur cette terre qui l'a vu naître, une terre de légendes et de mysticisme. Son essence parcourt le roman au même titre qu'elle a parcouru ses contrées depuis des temps reculés.



L'histoire

Au XIVème dans le Sud de l'Inde, une ville fut détruite durant une de ces insignifiantes guerres, les hommes furent tués et les femmes s'immolèrent dans le feu sacrificiel. Pampa Kampana a assisté à ce drame et a vu sa mère, son seul parent, brûlée vive. Ce fut à ce moment que la fillette de neuf ans reçut une bénédiction céleste. La voix de la déesse Pampa, aussi vieille que le Temps, se mit à parler par la bouche de l'enfant et cette dernière reçut des pouvoirs dont notamment celui de la longévité. Après ce drame, la fillette trouva refuge dans la grotte d'un moine et se tut pendant neuf ans. A dix-huit ans, la cité revit de ses cendres grâce à des graines apportées par deux frères et qui, sur les conseils de la déesse, furent plantées par ces derniers. De ces graines magiques naquit Bisnaga. Pampa Kampana qui rêva d'une cité idéale donnant la place aux femmes et aux différentes religions, verra se succéder nombre de rois, de batailles et de complots.

Pampa Kampana mourut à deux cent quarante-sept ans, laissant pour seul témoignage le "Jayaparajaya" qui retranscrit ses mémoires et l'histoire de Bisnaga, la Cité de la Victoire.



"La Cité de la Victoire" n'est autre que le récit du "Jayaparajaya" conté par un narrateur que le lecteur peut aisément imaginer être Salman Rushdie. Toute comme pour toute autre épopée indienne, le "Jayaparajaya", découvert dans une jarre au cœur de ruines d'une ancienne cité d'Inde du Sud et qui est initialement composé de vint-quatre mille vers, est présenté par le narrateur comme la traduction et la simplification d'un chef d’œuvre écrit initialement en sanskrit par une poétesse aveugle, faiseuse de miracles et prophétesse.

Tout laisse à imaginer au lecteur qu'il se retrouve face à une épopée, grâce au tour de force de Salman Rushdie et à ses talents d'écrivain que nous ne présentons plus. En laissant le côté fantastique et mystique du roman, le lecteur peut également avoir l'impression de se retrouver devant un roman historique, sans doute grâce au travail titanesque de documentation qu'avait entrepris Salman Rushdie en parallèle à son travail d'écriture, sur l'histoire des dynasties d'Inde du Sud, dont certains noms figurent dans le roman et comme l'atteste la biographie en fin de roman. Couvrant près de deux cent ans d'histoire, il est évidemment, que le roman fulmine de nombreux personnages aux résonances peu familières. Pourtant, l'auteur n'hésite pas à rappeler leur rôle au fil de la lecture et pour certains, leur caractère bien spécifique. Salman Rushdie aborde également des sujets assez actuels dans son roman, la place des femmes dans une société patriarcale, la montée de l'extrémisme religieux, la tolérance religieuse, le brassage des cultures, l'écologie avec l'étrange histoire des singes rouges ...

Avec "La Cité de la Victoire", une fois de plus, Salman Rushdie signe un roman où il mélange de façon brillante, réalité et fantastique. Dès les premières pages, vous êtes happés par cette magnifique histoire, dont on pourrait très bien imaginer qu'il aurait débuter par "Il était une fois, sur les ruines d'une cité détruite ..." mais il aurait été trop simple et contre-nature d'ailleurs par l'auteur de le commencer ainsi et de le conclure avec un "happy end". Derrière les histoires bien lisses et merveilleuses des dynasties se cachent des réalités qui sont loins de l'être comme nous le rappelle la lecture de ce roman.

"La Cité de la Victoire" est un véritable régal de lecture. Même si Salman Rushdie est l'auteur de nombreux romans brillants, il signe avec ce dernier un des plus fantastiques et remarquables, l'effet sans doute à la magie de l'Inde et à ses histoires légendaires ..


J'ai appris que le monde était infini dans sa beauté mais aussi implacable, impitoyable, cupide, lâche et cruel. J'ai appris que l'amour est la plupart du temps absent et que lorsqu'il se manifeste il est généralement sporadique, fugace et finalement peu satisfaisant. [Page 200]


"La Cité de la Victoire" de Salman Rushdie

Traduit de l'anglais par Gérard Meudal

Editions Actes Sud - Lettres anglo-américaines - Date de parution : 6 septembre 2023 - ISBN : 978-2-330-18122-2 - 336 pages - Prix éditeur : 23 euros



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