"Mille et une roses sauvages" de Feryal Ali-Gauhar đ”đ°
- Véronique Schauinger
- 15 oct. 2024
- 4 min de lecture
La vallĂ©e traversait une pĂ©riode d'incertitude. Rien n'Ă©tait plus comme avant ; les apparences devenaient trompeuses. Moussa entendait le vent se lever. Il s'engouffrait dans les abricotiers, dont les branches s'entrechoquaient. Ces rafales glacĂ©es et les craquements du bois annonçaient le dĂ©but de l'hiver. Demain matin, il faudra mettre la perdrix Ă l'abri. La tempĂȘte Ă©tait aux portes du village. (Page 68)

đč "Mille et une roses sauvages" est un roman Ă©crit par l'autrice pakistanaise Feryal Ali-Gauhar et qui est Ă©galement enseignante en cinĂ©ma.
Pour ce roman, l'activiste engagĂ©e dans la dĂ©fense des droits humains et animaux, qui travaille pour la protection de sites du patrimoine menacĂ©s par la construction de barrages hydroĂ©lectriques, nous emmĂšne dans les montagnes du Karakoram, une montagne qui court sur trois pays, l'extrĂȘme nord-est du Pakistan, l'Inde et la Chine.
đč Dans le hameau isolĂ© de Saudukh Das, "le Village aux Cent Chagrins, perchĂ© des les Montagnes Noires, oĂč vivent et chantent les Esprits Immortels." les gens tentent de survivre, aux coups, aux Ă©lĂ©ments et Ă la faim. MĂȘme s'ils ne se sentent pas concernĂ©s par les conflits entre le Pakistan et l'Inde, nombre d'hommes se sont engagĂ©s dans l'armĂ©e et nombre d'entre eux ne reviendront jamais.
Peu avant l'hiver, alors que deux jeunes cousins, Hassan et Nour, Ă©taient en train de chercher du bois sur la pente raide du nullah du Chartroi, ils trouvent enfoncĂ© dans la tombe d'un arbre mort, le corps ensanglantĂ© d'un Ă©tranger, encore vivant. Avec une civiĂšre faite de rondins de bois et d'une corde de nylon orange, ils descendirent le corps Ă leur village de Saudukh Das, chez le Numberdar, le chef, l'homme le plus important de la communautĂ©, Moussa Madad, qui dĂ©cide d'en prendre soin. Mais personne ne fit attention Ă Lasnik, l'adolescent Ă©trange du village que l'on reconnait facilement car il est vĂȘtu du manteau de son pĂšre disparu, incapable de tenir un discours cohĂ©rent et qui pourtant, en claudiquant jusqu'Ă la maison du Numberdar, a annoncĂ© l'imminence d'une catastrophe.
Pendant quatre jours et trois nuits, ni les villageois plus isolĂ©s que jamais Ă cause d'un Ă©boulement plus loin sur la route, ni Ibrahim, un soldat du village dĂ©ployĂ© sur le triangle de Siachen oĂč poussent des buissons de roses sauvages, ne seront Ă©pargnĂ©s par des incidents et qui risqueront de mettre, en pĂ©ril, des vies. Les esprits de la montagne et de la nature ont dĂ©cidĂ© de jouer avec les nerfs de chacun en les mettant au dĂ©fi.

đč "Mille et une roses sauvages", le troisiĂšme roman de Feryal Ali-Gauhar, l'autrice pakistanaise a dĂ©cidĂ© de mettre en lumiĂšre une partie trĂšs isolĂ©e du Pakistan, en Ă©crivant une histoire sur cette rĂ©gion du Karakoram et sur ces gens qui y vivent. En premier lieu, elle a posĂ© une partie de son histoire au coeur d'un conflit, la zone militaire de Siachen, entourĂ©e de sommets atteignant prĂšs de 8.000 mĂštres dâaltitude, appelĂ©e "le plus haut champ de bataille du monde", théùtre d'affrontements entre le Pakistan et l'Inde depuis les annĂ©es 1980 et qui abrite l'un des trois plus grands glaciers du monde. GrĂące Ă ses incursions dans des avant-postes reculĂ©s du Karakoram, auprĂšs de l'armĂ©e pakistanaise, elle a pu retranscrire la vie d'un soldat dans cet enfer blanc. En mentionnant ce lieu, elle a sans aucun doute voulu raviver la mĂ©moire de ces hommes, de tous Ăąges, ayant donnĂ© leur vie en uniforme pour la patrie. Elle a Ă©galement profitĂ© de mettre en Ă©vidence, le rĂŽle des chiens auprĂšs des soldats et de transcrire une opĂ©ration de sauvetage.
Mais l'essentiel du roman se dĂ©roule dans un village reculĂ©, oĂč quatre torrents confluent au coeur de la vallĂ©e et qui est peuplĂ© d'un Ă©ventail de personnages, certains trĂšs complexes comme le chef de village qui a trois femmes qui n'hĂ©site pas Ă accueillir sous son toit un Ă©tranger dont il ne sait pas s'il va survivre alors que dans sa remise, il a enfermĂ© sa fille. Un des personnages phares, qui rythme le roman, est cet adolescent, Lasnik, qui a un dĂ©ficit intellectuel et que l'on pourrait presque imaginĂ© comme Ă©tant un crieur public, annonciateur de prophĂ©ties.
L'autrice donne aussi de l'importance à des rÎles féminins. Zarina, qui est l'épouse d'un soldat actuellement absent et qui a pour rÎle, celui de professionnelle de santé pour les villageois ; Naoushad qui a eu le malheur d'épouser un fils à maman, amateur de sirop pour la toux, violent et qui la maudit car elle a eu que des filles ; les épouses du Numberdar principalement les trois premiÚres, ...
Mais d'autres ont la parole, les forces de la nature, manquant d'éléments concernant les croyances de cette partie du Pakistan, il peut effectivement paraßtre difficile de comprendre leurs dialogues, sortent de prophéties. Enfin un objet apparaßt réguliÚrement.
đč "Mille et une roses sauvages" est un roman qui peut se rĂ©lĂ©ver complexe par le manque de connaissances du lecteur, un brin "fantastique magique" et Ă suspens. Il est apprĂ©ciable qu'une autrice pakistanaise, une femme, a Ă©crit un roman autour du conflit du Glacier Siachen et la vie compliquĂ©e d'une village traditionnelle du fin fond du Pakistan, qui tolĂšre la modernitĂ©, tant qu'elle est matĂ©rielle et non intellectuelle. C'est Ă©galement un roman qui parle de la nature qui reprend ses droits, aprĂšs avoir Ă©tĂ© malmenĂ©e par les humains ; et de ces femmes, veuves ou faisant partie d'un "harem" ou ayant mal enfanter en donnant des filles, sont parfois malmenĂ©es.
đč "Mille et une roses sauvages" est un de ces rares romans traduits en français sur le Pakistan et malgrĂ© sa complexitĂ©, il est intĂ©ressant de s'y plonger.

"Mille et une roses sauvages"
De Feryal Ali-Gauhar
Titre original : An Abundance of Wild Roses
Roman traduit de l'anglais (Pakistan) par Emmanuelle Ghez
Editions Paulsen - Collection « La Grande Ourse - Date de parution : 3 octobre 2024 - ISBN : 978237502-3648 - 352 pages - Prix éditeur : 22 euros
Comments