Le premier à faire honneur à ce grand projet, celui de rassembler des portraits, est Ari Gautier. Ari Gautier a les fibres d'un talentueux écrivain comme il nous l'a prouvé dans "Carnets Secrets de Lakshmi" où il a imaginé l'histoire de Lakshmi, l'éléphante du temple de Ganesh de Pondichéry. A travers cette fable philosophique, Ari nous fait avant tout découvrir les principaux aspects de la ville de Pondichéry où il y mêle ses souvenirs et de nombreux points de vue, celui d'un homme qui ne voit pas sa ville natale à travers une ornière. Ari est également auteur de nombreuses nouvelles et prépare son prochain roman "Tinai" qui nous plongera encore plus profondément au cœur de l'histoire de Pondichéry. Je tiens à remercier sincèrement Ari pour sa contribution à travers ce portrait digne d'une nouvelle. Bonne lecture.
« Attention, c’est mon bébé ! » Tels furent les premiers mots que prononça ma mère en mettant les pieds sur cette terre étrangère. Mon oncle la regarda, l’air ahuri. Ses mains qui venaient de lancer mon berceau contre l’arbre centenaire Naga planté par mon arrière-grand-père le sacristain, restèrent en l’air. Il se doutait qu’il venait de commettre une imprudence ; mais ne savait pas laquelle. Quelques secondes plus tard il fut désemparé de me voir rouler sur la terre battue du minuscule temple qui se trouvait au pied de l’arbre. Après ce moment d’épouvante, ma grand-mère me ramassa ; elle épousseta la terre collée à mes habits et prit une pincée de sable qu’elle apposa sur mon front. Le cœur rempli de fierté, elle s’adressa à la foule qui s’était rassemblée pour accueillir ma famille. - Ce n’est rien : il vient de recevoir la bénédiction d’Angalamma ! Ce fut mon premier contact avec l’Inde. Suzette tenait dans ses bras un nouveau-né qui n’eut la patience d’attendre le terme de la grossesse. Fatiguée par ses coups de pieds impatients, sa mère le mit au monde plus tôt que prévu. Les larmes de Suzette tombaient sur le Lamba où était enveloppé le bébé. Elle le couvrait de baisers et jetait des regards furtifs vers le reste de la famille qui attendait sur le quai de la gare. Ses bras serrèrent le nourrisson lorsqu’elle entendit la sirène du train. La fumée noire de la locomotive s’élevait dans le ciel et assombrissait le ciel bleu d’Antsirabé. Son cœur battait à rompre. Elle s’éclipsa discrètement pour se faufiler vers la sortie en bousculant les passagers et les visiteurs. Ses yeux brouillés par les larmes cherchèrent un rickshaw ; elle fut soulagée d’entendre le tap-tap empressé d’un tireur qui s’approchait d’elle avec élan. Elle était sur le point de s’engouffrer dans le rickshaw lorsqu’une main vigoureuse l’agrippa. Mon père me retira gentiment de ses bras ; il la fit descendre du véhicule et la ramena sur le quai avec des mots réconfortants. Le coup de sifflet strident du chef de gare retentit comme un cri funèbre. Les larmes aux yeux, la famille de ma mère vit disparaitre à jamais le sourire de celle qu’elle appelait « Blanche neige » à cause de son teint claire. Suzette resta longtemps sur le quai désert le regard rivé sur ces rails maudits qui venaient d’emporter sa cousine bien-aimée. Sous son chapeau malgache ses yeux ressemblaient à cette rivière de leur village qui coulait inexorablement. * Je fus soulagé très tôt de m’apercevoir que je n’étais pas seul à souffrir de daltonisme. La République était ravagée par un monochromatisme sévère. Mon aversion pour les études et l’éducation commença le jour où un instituteur égaré des chemins de Katmandou me martela que mes ancêtres étaient les Gaulois. Pendant la pause déjeuner, je passais des heures à scruter le portrait de mon grand-père accroché au Maada Kudam ; en dehors de la moustache épaisse et tombante, je ne voyais aucune ressemblance avec les buveurs de potion magique. Commencer mes études par un mensonge me découragea à jamais à continuer ce lavage de cerveau à coups d’histoire javellisée. J’appréhendais de rester dans cette blanchisserie qui pendant longtemps avait envoyé des milliers de mammifères bipèdes gratte-papiers pour administrer l’Indochine. Avant de fréquenter le Collège français, j’étais à la maternelle de Saint Joseph de Cluny dirigée par des religieuses. Là aussi assez vite, on me fit comprendre que j’étais né pêcheur. Je me tournai pour chercher ma barque et mon filet. Mais je ne vis que le doigt accusateur de Mère Monique qui nous incriminait d’un crime jamais commis. Etait-ce délictueux de demander pourquoi ce Miskin pendait là au fond de la salle avec ses plaies béantes. « Il est mort à cause de vos péchés. » Nous dit-elle avec un air grave. Je venais de comprendre que quoique je fasse dans ma vie, je ne serais qu’un dépravé. * Désintéressé par les études et mourant d’ennui dans cette ville léthargique où il ne se passait rien ; c’est avec un immense bonheur que je fis ma valise pour aller en France. La France ! L’odeur des dragées, de lodicolagne St Michel et du chocolat Poulain fondu par la chaleur envahissaient ma tête remplie de rêves. Tant pis si je n’ai pas fait de grandes études, la France est mon pays ; c’est là que suis destiné à vivre. D’ailleurs qui a besoin d’études pour aller faire le zouave dans des tranchées imaginaires. Car ma vie était déjà toute tracée ! Quoi de plus normal que de suivre les traces de son père. Je rentrerais à l’armée ; je ferais 15 ans de carrière, et je reviendrais m’installer à Pondichéry même si je dois passer le restant de ma vie à observer la vie sexuelle des mouches. Pendant très longtemps j’avais accusé le climat tropical de mon manque d’imagination. Plus tard, j’accuserais cet abrutissement à une vie moyennement aisée où l’on se préoccupait très peu de l’avenir. Mais, il m’était difficile de me rendre à l’évidence que j’étais un être sans ambition… * Le gaulois m’appelait « cousin des iles » ; l’antillais me surnommait « coolie ; le malgache me prénommait « karane » ; le pondichérien disait que j’étais un « sattaikaran » ; l’africain m’interpellait en tant qu’ « hindou » ; l’arabe me désignait comme « karlouche » ; et pour finir le réunionnais me disait que j’étais un « malabar ». J’étais vraiment mal barré ! Avant de venir en France, j’étais juste moi. A peine arrivé en France, dans cette caserne d’Oissel, voilà que je ressemblais à une divinité hindoue avec mille et un nom. On venait de semer dans mon esprit la graine de la crise identitaire. Comme un malheur ne vient jamais tout seul ; Jean Saul Partre en profita pour planter son drapeau despotique existentiel dans mon intellect naissant. Le calvaire n’était qu’à son début. Le doute qui s’était installé dans mon esprit me rongeait comme une lèpre invisible. Les cadavres putréfiés des martyrs des sales guerres de la République venaient hantaient mes nuits. Mes ardeurs militaires se heurtaient aux rêves brisés des enfants de la nation que ce pays envoyait se sacrifier pour des faux idéaux. Je ne voulais pas être un pion de sacrifice dans l’échiquier géopolitique sur lequel ces politiciens véreux offriraient ma vie sans vergogne. Ma conscience refusait de participer à cette macabre mascarade démocratique qui installait au pouvoir des marionnettes africaines sanguinaires et autocratiques qui faisaient souffrir leurs peuples afin de sauvegarder les intérêts de la France. La Françafrique se fera sans moi. * Mon rêve militaire anéanti, les rues de Paris sont devenus mon refuge où je trouvai le Spleen caché sous chaque pavé. L’impermanence, le spleen et l’existentialisme sont devenus des fantômes qui me poursuivaient comme des ombres maléfiques. La fuite fut la seule échappatoire. Le retour au pays me paraissait salutaire. Je déposai mon destin au fond d’une barque et la jetai sur les flots d’un océan d’incertitude. Les signes de la vie fut la seule boussole de cette embarcation précaire. La tête remplie de fantasmes nourris par des années de lecture sur ce pays que je connaissais à peine ; je décidais d’aller à la découverte de l’Inde. J’étais envouté par cette Inde dont les navigateurs, les aventuriers et ces gueux littéraires avaient contaminés mon esprit. De François Pyrard à Thierry Ardisson, l’imaginaire collectif fut modelé d’images du charmeur de serpents, de fakirs à demi-nus, de vaches sacrées et de tous ces dieux qui ressemblaient à des bêtes de cirque. L’Inde éternelle s’enveloppait de mystère teinté de monstruosité. Je voulais déchirer le voile de l’ignorance. Je sillonnais ses routes à bord de bus brinquebalants ; je parcourrais ses chemins caillouteux à dos de toutes sortes d’animaux ; j’empruntais ses rivières et ses fleuves sur des embarcations que même les dieux hésiteraient à monter. Ses montagnes et forêts n’avaient plus de secrets pour moi. D’Amarnath à Kanyakumari ; de Jaisalmer à Bodh-Gayâ, mes pas ont foulés chaque parcelle de terre. J’avais vu des éléphants roses dans la Vallée de Parvati ; j’avais philosophé avec des Vedantins dans des temples de Kanchipuram ; je m’étais intoxiqué avec des Naga sâdhus dans les différents Kumba Melas ; j’avais observé avec effroi et fascination des Aghoris Babas consommés des cadavres qui brulaient sur des buchers funéraires d’Harishchandra Ghât… Petit à petit, ma crise identitaire se transforma en crise mystique. En me prenant pour Jésus, j’ai failli me noyer dans le lac de Rishikesh ; on me retrouva frigorifié dans une grotte de l’Himalaya avec un trident dans le derrière. Je ressemblais plus à un méchoui avarié qu’à un apprenti yogi. Mais tout ceci ne pouvait désaltérer ma soif ; car je n’avais pas soif. A travers l’Inde, c’est moi que je cherchais. Cette errance n’était que le miroir de ma propre quête… Après deux décennies de pérégrinations, je compris enfin qu’une vie ne suffisait pour connaitre et comprendre ce pays désarmant. Mais j’avais trouvé ma paix intérieure. A défaut d’observer la vie sexuelle des mouches que mon rêve enfantin avait caressé, je partis vers le Grand Nord pour résoudre les problèmes existentiels des ours polaires. En attendant la fonte des glaces, j’écrivis le fruit de mes aventures en Inde sous la forme d’une fable philosophique qui sortit l’année dernière. « Carnet secret de Lakshmi » est une profonde réflexion sur les choix que l’être humain est confronté tout au long de sa vie. A travers ce roman, non seulement je veux épingler Pondichéry sur la carte littéraire ; j’aimerais aussi que nous, écrivains pondicheriéns prenions notre destin littéraire dans nos mains. « Le Tinnai » est mon prochain roman que je viens de terminer ; il sera suivi de « La révolte des statues » qui murit dans mon esprit.
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Ari Gautier
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