"Un atlas de l'impossible" de Anuradha Roy
top of page

"Un atlas de l'impossible" de Anuradha Roy


Pouvait-il avouer que c'était au Rajasthan, lors d'un voyage au cœur des vieilles montagnes de la chaîne Aravalli, là où le paysage ocre cédait la place aux jaunes et aux verts flamboyants des champs de moutarde sur lesquels des bougainvillées rose fuchsia tombaient en cascade tels des jets de sang, qu'il s'était enfin senti libéré de la mort de Shanti ? Pouvait-il s'avouer à lui-même qu'il s'était doucement senti gagné par une sensation de plénitude, nouvelle et inattendue ? Il avait enfin retrouvé une forme de paix : devant les premiers remparts délabrés des forts rajput, les sourires des chameaux, les cris affolés des paons dans la lumière déclinante du jour, il avait pu observer et écouter le monde sans avoir à s'arracher le cœur.
Page 118



Amulya avait entendu parler de Songarh à Calcutta et l'avait découvert aux environs de 1907. L'on raconte que cette ville gagnée par la forêt et la pierre a été dans le passé un centre d'enseignement bouddhiste. De cet héritage, il reste les ruines d'un fort ignorées par les seuls visiteurs plus intéressés par les gisements de mica que par les vieilles pierres. Dès qu'Amulya eut découvert cette ville, il accueillit la certitude qu'il vivrait là comme une bénédiction. Sans hésiter, il quitta Calcutta avec sa femme et ses fils - Kamal et Nirmal - pour y construire une imposante maison. Il y monta sa petite fabrique de médicaments et de parfums tirés d'herbes, de fleurs et de plantes qui deviendra très vite une usine.

Kananbala, sa femme, a toujours été malheureuse dans cette nouvelle vie loin de sa ville natale, de tout contact humain et de tout bruit. Vingt ans après leur installation au milieu de nulle part, la folie gagna Kananbala malgré les bons mariages de ses fils. Le malheur continua alors de frapper la maisonnée avec le décès en couche d'une des belles-filles suivie de peu de celle d'Amulya.

Mukunda, l'enfant qu'Amulya avait placé dans un orphelinat a aujourd'hui treize ans et la fille de Nirmal, Bakul, onze ans. Les deux enfants ont passé une majeure partie de leur enfance dans la maison érigée par Amulya et sont devenus inséparables. Un lien fort les unit, Makunda est orphelin tout comme Bakul qui n'a jamais connu sa mère et qui souffre de l'absence de son père trop préoccupé par son travail. Mais ce dernier, Nirmal, est de retour au foyer après avoir travaillé aux quatre coins de l'Inde pendant cinq années pour l'Office du patrimoine. Son nouvel objectif, érigé des fouilles à l'emplacement des ruines du fort de Songarh. L'ambiance dans la maison familiale est très oppressante, non pas à cause de la folie de Kananbala mais à cause de la frustration de son frère et de son épouse ne n'avoir pu avoir d'enfants.



"Un atlas de l'impossible" est le premier roman d'Anuradha Roy. Il nous transporte dans une saga familiale sur trois générations et couvrant environ cinq décennies avec des arrêts plus long sur certaines périodes et des bonds au-dessus d'autres. Le roman est décomposé en trois tableaux, chacun s'arrêtant sur une génération. Dans le premier tableau, le personnage central est le patriarche Amulya, qui est à l'origine de la construction de la maison et l'installation de sa famille à Songarh ; Amulya est la clé de voûte du roman. Dans le second tableau, le lecteur est transporté une dizaine d'années après la fin du premier tableau. Le personnage central est le fils d'Amulya, Nirmal, qui réalise en quelque sorte son rêve, celui d'entreprendre des fouilles près du fort. Cette partie nous fait découvrir les enfants qui seront à l'origine et malgré eux, d'une coupure importante au sein de la famille. Enfin, dans la dernière partie, le personnage central est Makunda qui a coupé les ponts avec Songarh mais surtout avec Nirmal et sa chère amie Bakul. J'ai été très surprise de retrouver en cette dernière partie, un récit entièrement tourné autour de Makunda et loin de Songarh. Ce changement de cap permet d'avoir presque une histoire à pars entière dans le roman même si le fil  avec les deux premières parties n'est pas rompu. En effet, comme lors des nombreux retournements de situation que l'on trouve au fil du roman, ce ne sont pas forcément les sentiments qui jouent un rôle déterminant aux rebondissements mais des lieux, qui servent en quelques sortes de métaphore à des sentiments plus intimes, des sentiments inavoués. Ces lieux sont nombreux : il y a bien sûr la maison à Songarh, la maison voisine de la famille appartenant à des anglais, le fort de Songarh où se retrouvent les rendez-vous secrets et quelques jeux d'enfants, la maison de Manoharpur au bord de l'eau et plus discrètement la maison de Calcutta, celle appartenant à Suleimann le professeur d'histoire musulman qui devra fuir lors de Partition.


Anuradha Roy apporte habilement tout un foisonnement de personnages à son roman. Elle y intègre minutieusement de nombreux détails qui permet à son lecteur de se plonger entièrement à sa lecture. On y trouve des émotions fortes, des remises en question, des regrets, des amours impossibles, ... Les lieux qui ont une place importante dans l'ensemble du récit apporte à l'ensemble un côté irréel et intemporel à l'ensemble. "Un atlas de l'impossible" offre une très belle lecture qui nous berce à travers les décennies d'une touchante saga familiale et où se joue en arrière-plan et avec une grande discrétion l'histoire indienne.



Les gens ont peur des fantômes dans les vieilles demeures. Moi, je sais que seules les nouvelles habitations sont hantées par les maisons décrépités qu'elles remplacent. Les vieilles maisons ne disparaissent pas. Elles tombent en ruine et sentent le renfermé, mais elles continuent à rôder ; leurs pièces tapissées de toiles d'araignées se nichent dans les coins à angle parfait de cuisines flambant neuves et de salles de bain en marbre ; il subsiste quelque chose de leur jardin et de leurs escaliers dans les cages d'ascenseur. Si cela ne tenait qu'à moi - et ceci en dépit de ma profession - je conserverais les veilles demeures en tout point identiques au souvenir que j'aurais d'elles. Il reviendrait aux termites d'en écrire l'histoire sur les plafonds et sur les murs, leurs sillons irréguliers dessinant la carte d'une éventuelle destruction. Une fois le travail de désintégration accompli par les termites et les maisons retournées à la terre, un cycle toucherait naturellement à sa fin.
Page 186

Pendant toutes ces années, j'avais volontairement évité de penser à elle car je savais que je m'exposais à éprouver un chagrin difficile à contenir. Je ne m'autorisais jamais à me remémorer ses traits : son nez retroussé, ses cheveux en bataille, le duvet de ses joues creuses, ses yeux enfin, semblables à deux bassins d'eau douce, qui vous fixaient plus qu'ils ne vous regardaient. J'avais six ans et elle quatre quand nous nous étions rencontrés ; nous ne nous étions plus quittés par la suite.
Page 228


 

Un atlas de l'impossible

De Anuradha Roy

Titre original : An Atlas of Impossible Longing

Roman traduit de l'anglais (Inde) par Myriam Bellehigue

Éditions Actes Sud - Collection "Lettres indiennes" dirigée par Rajesh Sharma

En format broché - Date de parution : avril 2011- ISBN : 978-2742796267 - 318 pages - Prix éditeur : 23,40 €

En format poche "Babel" : mars 2020 - ISBN : 978-2-330-13429-7 - Prix éditeur : 9,90 €


bottom of page