En cela comme en toute chose, Rehana oscillait entre indulgence et censure. Une partie d'elle-même désirait tout permettre à ses enfants : fantaisies, ferveurs, excès. Une autre souhaitait les maintenir en dehors de tout, les garder à l'abri ; dans un cas comme dans l'autre, elle traitait Maya et Sohail comme s'ils devaient percevoir une dette ancienne, une promesse antique, impossible à tenir, dans cette vie en tous cas ; un besoin inépuisable, cyclique, béant. Si ce besoin émanait d'elle ou de ses enfants, elle n'aurait su le dire.
Page 204
Dacca, Pakistan Oriental, 1971 Rehana Haque est heureuse de la vie qu'elle mène avec ses enfants, Sohail âgé de dix-neuf ans et Maya âgée de dix-sept ans, dans sa maison du quartier de Dhanmondi. Pourtant, sa vie n'a pas toujours aussi paisible. Elle a grandi à Calcutta aux côtés d'un père ruiné, en se mariant avec Iqbal, elle est venue à Dacca refaire sa vie. Mais son mari est décédé subitement et Rehana a dû se battre pour récupérer la garde de ses enfants qui avaient déjà pris la direction du Pakistan occidental pour vivre chez un oncle. Mais ce bonheur retrouvé depuis dix ans ne pourra pas durer. En ce début d'année 1971, les tensions dans la ville sont palpables. La ligue Awami revendique l'Indépendance de cette partie du Pakistan. Cheikh Mujib qui a remporté les dernières élections pour devenir Premier Ministre n'a toujours pas pris ses fonctions, l'Assemblée nationale tarde à lui attribuer son poste. Certains étudiants, dont Sohail et Maya, poussent Mujil à entreprendre une solution plus radicale. Une révolution du peuple du Pakistan Oriental est en marche et la vie de famille des Haque se trouvera bouleverser.
"Une vie de choix" est un roman nous faisant découvrir la naissance du Bangladesh au travers l'histoire d'une famille. Le personnage central est la mère de famille, Rehana, une mère dévouée, aimante de ses enfants et un véritable "cordon bleu". Ses enfants, jeunes adultes et étudiants, sont très impliqués dans la vie politique de ce morceau du Pakistan séparé par l'Inde avec le reste du pays. Sohail et Maya, chacun avec son propre tempérament, auront deux différentes manières d'agir. Sohail se rangera du côté des guérilleros, il ira sur le terrain, enterrera des armes au fond du jardin, cachera des hommes dans la maison voisine et vivra clandestinement. Un investissement pour lequel il se donne entièrement, sans doute pour oublier que son amour de jeunesse, Silvi va se marier avec un officier de l'armée pakistanaise. Maya souffrira, tout comme sa mère des activités de Sohail, mais ce qui la bouleversera profondément ça sera la disparition de son amie Sharmeen qu'elle considérait presque comme une sœur. Elle finira par quitter un temps Dakka pour s'engager de l'autre côté de la frontière comme rédactrice à un journal de Calcutta tout en faisant en parallèle de l'humanitaire dans un camp de réfugiés. Rehana vivra cette année 1971, tout d'abord dans le mensonge en ne dévoilant pas les activités illégales de ses enfants à son entourage prétexant qu'ils sont partis à Lahore et en cachant un Major sérieusement blessé dans son autre maison. Mais Rehana vivra dans la crainte de perdre son fils. Elle œuvra à l'effort de guerre, à coudre des couvertures pour les soldats et les réfugiés, à faire des conserves, à entreposer des produits pharmaceutiques dans sa maison et ira même à faire à son tour de l'humanitaire. Rehana est une mère qui se sacrifie pour ses enfants, sans doute pour se disculper d'une très lourde culpabilité. Pourtant, elle découvrira qu'elle n'est pas seulement une mère mais avant tout une femme qui peut encore éprouver des sentiments pour un homme autre que son défunt mari.
Autour de ce noyau familial, l'on retrouve de nombreux autres personnages qui agrémentent l'histoire. Les Sengupta qui sont les locataires hindous de la maison se trouvant au fond du jardin et qui devront fuir Dakka au début du conflit ; Mrs Sengupta la voisine et amie à Rehana ; Silvi, la fille de cetter dernière, et pour laquelle Sohail est amoureux depuis sa jeunesse ; les frères Joy et Aref qui sont les grands amis à Sohail, qui viendront souvent s'inviter chez les Haque et qui seront très engagés tout comme Sohail ; Sharmeen l'amie à Maya ; ....
"Une vie de choix" n'est pas à proprement parlé un roman historique mais Tahmina Anam s'est largement inspirée de faits réels en se documentant auprès de témoins ayant vécus cette période de troubles dont de nombreux membres de sa famille. Cette lecture permet à son lecteur de découvrir l'histoire méconnue du Bangladesh et des causes qui ont poussé un peuple à demander l'Indépendance. Nous retrouvons de nombreuses similitudes historiques avec d'autres romans se déroulant à Calcutta, culture bengalie oblige. J'ai bien apprécié la place accordée à Tagore au travers le roman mais également les poèmes souvent ourdoues qui apportent un véritable atout. Le lecteur appréciera également les nombreux plats énumérés grâce aux nombreuses préparations culinaires à Rehana, une très appréciable farandole.
Le roman est axé essentiellement sur l'année 1971 du mois de mars au mois de décembre. Seul le prologue relate d'un fait ayant eu lieu en 1959, lorsque Rehana vient de perdre la garde de ses enfants, le fruit de sa profonde culpabilité.
"Une vie de choix" est une histoire très agréable à lire et parfaitement bien orchestré. Le personnage de Rehana est un personnage très attachant. Même si la fin peut paraître abrupte, n'ayez crainte, vous retrouverez la famille Haque en 1984 dans le deuxième roman de Tahmima Anam paru aux Editions Actes Sud "Un bon musulman". Un autre très bon roman à découvrir.
Pendant tout le mois de juin, les soldats de Tikka Khan sillonnèrent les plaines, dans l'été du Bangladesh. Ils pillèrent des maisons et brûlèrent des toitures. Ils commirent des viols. Ils alignèrent des hommes au bord des étangs pour les fusiller. Pratiquèrent des tortures anciennes et nouvelles. Ils innovèrent, firent œuvre de pionniers en cruauté, se surpassèrent chaque jour en brutalité, se sentant toujours plus proches de la divinité, puisqu'on leur avait expliqué qu'ils étaient les sauveurs du Pakistan, de l'islam et peut-être même du Tout-Puissant en personne face à la dépravation des Bengalais. Dans ce périple frénétique, ces dévots faisaient preuve d'une détermination sans bornes.
Page 201
Si vous avez la moindre connaissance du pays, vous sauriez que le Pakistan occidental est en train de nous saigner à blanc. C'est nous qui réalisons la plus grande partie du commerce extérieur. Nous qui cultivons le riz, nous qui produisons le jute et ici, en retour nous n'obtenons rien : ni écoles, ni hôpitaux, ni armée. Nous n'avons même pas le droit de parler notre foutue langue !
Page 55
Lentement, la ville s’adapta à l’occupation. Comme elle s’adapta à la présence des soldats en faction au coin des rues, à leurs uniformes empesés, à leurs visages pâles et grimaçants. La ville s’adapta aux tanks, lourdement installés au milieu des routes, et aux check points où des soldats inspectaient les voitures, aboyaient des ordres à des conducteurs qui hochaient la tête et agitaient les bras pour assurer de leur innocence. La ville s’adapta aussi au silence, car il n’y avait plus ni discours, ni défilés, ni manifestations ; rien qu’un calme immobile et angoissant, interrompu deux fois par jour par la sirène du couvre-feu.
Page 113
Sohail se plaça face au couple, ferma les yeux et récita le Gitanjali de Rabindranath Tagore : Quand tu m'ordonnes de changer, mon cœur sembla crever d'orgueil ; et je regarde ton visage, et des larmes me montant aux yeux. ... et mon adoration déploie ses ailes comme un oiseau joyeux s'envolant vers la mer. ... Et je sais que c'est seulement comme chanteur que je suis admis en ta présence. Ivre de cette joie de chanter, je m'oublie moi-même et je t'appelle mon ami, toi ui es mon Seigneur. Tu as fait de moi un infini. Telle est ta volonté, tel est ton plaisir.
Page 102
Une vie de choix
De Tahmima Anam
Titre original : A Golden Age
Traduit de l'anglais (Bangladesh) par Simone Manceau
Broché - Éditions des Deux Terres - Date de parution : 25 février 2009 - ISBN : 978-2848930572 - 420 pages - Prix éditeur : 22,50 €
Poche - Éditions J'ai Lu - Date de parution : 7 mai 2011 - ISBN : 978-2290024607 - 413 pages - Prix éditeur : 7,80 €
Distinction : Best First Book winner of the 2008 Commonwealth Writers'Prize
Comments