Un petit bout d'histoire dans un magazine pouvait se transformer en une grosse boule de feu. Une histoire qui donnerait un gros coup de projecteur sur Vanity Bagh, comme dans les remises d'oscars et au cirque. Vous voyez l'ironie : une histoire de détenu qui pèse plus lourd qu'un récit de procès , toujours accueilli avec un petit sourire méprisant. Le monde est d'une bêtise ... Incapable d'échapper à la médiocrité.
Page 54
Seize ans d'emprisonnement, la sentence est sans appel et irrévocable.
Depuis son procès, il y a à peine dix-huit mois de cela, Imran Jabbari essaye de se familiariser à sa nouvelle vie en prison. D'abord chargé aux travaux de jardinage et au luxe d'être à l'extérieur, il se retrouve muté dans le département de la reliure où naissent des livres ne comportant que des pages blanches.
C'est justement à travers ces pages vierges, que ressurgissent pour Imran, les souvenirs de son ancienne vie dans le quartier musulman "Vanity Bagh" ou "Little Pakistan" de la ville de Mangobagh, jusqu'au jour fatal de son arrestation quelques jours après le 11/11/11.
Imran, une vingtaine d'années est le fils de l'imam en chef de la mosquée Mosavi et adorait se retrouver avec ses copains, tous aux noms inspirés de célébrités pakistanaises. Ils adoraient débattre des dernières affaires du quartier, regarder des films hollywoodiens, fumer et traîner près de la mosquée ou de l'arbre centenaire du quartier surnommé "Franklin". Mais à vingt ans, sans travail et sans perspective pour son avenir, Imran, comme ses amis, rêvait de "devenir quelqu'un". Inspiré de l'histoire d'un gros bras du quartier aujourd'hui unijambiste et toujours en proie à des menaces, ils décidèrent que leur groupe d'amis deviendraient une bande de caïds, les 5 ½, qui dans le futur feront trembler tout le quartier et Mangobagh. Mais pour l'instant, les 5 ½ sont surtout une bande de jeunes aussi inoffensive que leur ombre et qui ne ferait même pas de mal à une mouche. Difficile donc pour eux de percer dans le milieu et de se faire connaître sans obtenir de missions importantes. Mais un jour, la roue tournera, mais leur naïveté et leur manque d'expérience, leur feront commettre une erreur fatale et lourde de conséquences.
À travers les pages de "Vanity Bagh" se cache un petit trésor, à la fois roman dramatique tout en étant humoristique. Dramatique, le destin de Imran et de ses amis, proies faciles afin de perpétrer un acte terroriste meurtrier. Humoristique, par le ton donné par le narrateur à son récit, très souvent ironique sur sa situation actuelle et dans la façon où il raconte ses souvenirs à Vanity Bagh. Mais aussi par les citations qui parsèment le roman : celles de personnages de Vanity Bagh et quelques personnages connus (à titre d'exemple : Sylvester Stallone, Sean Connery, Charlie Chaplin) avec à chaque fois l'année de naissance et de mort (si elle a déjà eut lieu), une passion qui lui parvient du livre de comptes de son père où s'y trouve l'état civil de chaque personne du quartier. Mais je trouve que "Vanity Bagh" est une histoire très touchante, même si Imran a perpétré un acte terroriste et est à l'origine du décès de nombreuses victimes. Je dis cela car, sans trop révéler au récit, il a été manipulé par sa naïveté et par son inexpérience de la vie, cette dernière qui sera confirmée maintes fois durant sa toute première partie de vie carcérale. Le roman débat aussi de la violence entre les communautés dans une ville, où chacune est parquée dans une enclave de la cité. Mangobagh, le nom de la ville du roman que l'on peut trduire "Jardin des Mangues", a été surement inventé par l'auteur pour sans doute représenter l'ensemble des villes indiennes, où s'y trouvent des quartiers en fonction de la religion de ses habitants. Le roman est toujours structuré de la même façon, quasiment tous les chapitres débutent avec la vie d'Irman dans la prison puis tout en douceur débute les flash-back avec une certaine nostalgie de sa vie antérieure : lorsqu'il se réunissait avec ses amis, se retrouvait à la maison avec ses parents, son frère et les chèvres, ... Anees Salim nous livre à travers ce roman, un récit simplement formidable qui nous ai conté comme si il parviendrait directement par son personnage principal. L'histoire d'une génération sans emploi, vivant auprès de la terreur de leur quartier, sujet à des conflits ethniques et qui ne se rend pas compte de leurs faits et gestes, cherchant simplement à exister et à devenir quelqu'un dans un avenir flou et incertain. Un roman qui garde sa puissance sur toute sa longueur et au lieu de s'épuiser au bout, un nouveau drame bouleverse la vie d'Imran, encore plus dur à supporter, accentué car il est loin des siens et surtout que la vie continue sans lui à Vanity Bagh.
Il y a longtemps, très longtemps – dix-huit mois environ pour être précis –, sous l’effet d’un coup de maillet sur un bureau très sombre, mon univers s’est réduit à un trou de souris. C’était une journée ensoleillée, si ensoleillée que les femmes à la peau claire avaient décidé d’ouvrir leur parapluie, mais la foule agglutinée aux fenêtres bloquait tellement les rayons dans la salle du tribunal que ç’aurait aussi bien pu être une journée pluvieuse.
Page 7
L'amour des livres est arrivé assez tard dans ma vie. Dans mon enfance, je n'étais pas fasciné que par le livre de comptes en skaï que l'imam apportait à la maison, le vendredi soir. Il y avait une couverture verte, au centre de laquelle se trouvait un croissant que Fatima avait découpé dans un magazine à la demande de l'imam.
Page 58
Vanity Bagh
De Anees Salim
Titre original : Vanity Bagh
Roman traduit de l'anglais (Inde) par Éric Auzoux
Prix et distinction : The Hindu Prize for Best Fiction en 2013
Éditions Actes Sud - Collection "Lettres indiennes" dirigé par Rajesh Sharma
ISBN : 978-2-330-04900-3 - 270 pages - Prix éditeur : 22 € / existe en version numérique
Date de parution : 1er avril 2015
Kommentare