Et maintenant, il était au milieu de l'océan, il y a longtemps, très longtemps. Il y avait une autre femme, toute lumineuse, et elle sortit de la mer pour aller vers lui qui était assis sur un rocher escarpé. Elle lui dit qu'il n'avait plus besoin de faire semblant. Cette fille, celle de l'océan, l'aurait aidé à retrouver la terre ferme. Peut-être pourrait-elle encore le faire. Anil ouvrit alors les yeux.
Page 239
Anil peut dire que sa vie d'avant se résumait à une vie de prince, peut-être même celle d'un roi. Fils tant souhaité après un trio de filles, fils d'un grand et riche industriel indien dans le domaine du jean, plus beau parti de Singapour et de la diaspora indienne, la vie lui souriait. Et pourtant à un peu de vingt ans, Anil s'ennuyait dans l'entreprise familiale qu'il avait intégrée après un MBA en Amérique. Heureusement que de temps en temps, il pouvait s'échapper à Hong-Kong où vivent nombre de ses amis. C'est justement là-bas qu'il retrouva une ancienne camarade de classe, Ravina, dont il tomba éperdument amoureux. Ayant peur des on-dit, ses parents refusèrent ce mariage, Ravina n'étant pas la parfaite fille indienne. Anil décida alors de rompre et essayer d'effacer Ravina de sa vie. Quelque temps plus tard, Anil rencontra une jeune femme lors d'un énième mariage à Bombay, Sonia. Elle était belle, jeune, innocente et du rang tant souhaité par ses parents. Anil tomba sous son charme et accepta enfin le mariage à l'âge de vingt-huit ans. Mais à ses dépens, Anil comprit très vite que derrière cet air candide se cache une femme acerbe, paresseuse, dépensière et irrespectueuse des aînés. Il était alors trop tard pour Anil à faire marche arrière. Sa nouvelle échappatoire, le travail et son activité parallèle et illégale d'exportation de contrefaçons. Pour éviter les violentes disputes conjugales, il céda à tous les caprices de sa femme cupide même celle d'accepter à quitter Singapour et ses parents pour s'expatrier à Dubaï. Dubaï aura été l'eldorado où l'argent coule à flots et l'argent dépensé sans compter. Anil était parvenu à devenir le roi du Monde avant qu'une crise financière mondiale ne vienne éclater sa bulle.
Anil regrettait d'être né trop tôt, de n'avait pas grandi dans cette ère technologique post-millénaire, où tout allait très vite. Peut-être les choses auraient-elles été différentes s'il avait eu les outils dont disposaient maintenant les célibataires. Aujourd'hui, les jeunes peuvent tweeter leur affection, poursuivre l'objet de leur passion sur Facebook, envoyer sur Instagram leurs photos les plus avantageuses. Avec Photoshop, ils gomment leurs imperfections et leurs kilos. Ils peuvent choisir leur image, afficher le visage qu'ils veulent. Mais aussi essayer de se connaître, et approfondir la relation avant de s'engager.
Page 12
"Le roi du Monde" retrace la vie d'Anil, un indien issu de la diaspora indienne et de la nouvelle bourgeoisie indienne. On le découvre sur une période de quarante ans : sa jeunesse à Bangalore, son adolescence et sa vie d'adulte à Singapour, sa célébrité puis sa subite déchéance à Dubai pour enfin arriver là où tout à commencer : en Inde. Ainsi le lecteur, à travers de petits chapitres, saute les années à la découverte des grandes périodes de la vie d'Anil afin de comprendre comment cet homme qui avait tout les atouts pour avoir une vie parfaite se retrouve du jour au lendemain dans un ashram au fin fond de l'Inde. Un autre personnage important apparaîtra dans le roman, celui de Ravina. Tout comme pour le personnage d'Anil, le lecteur suivra son parcours mais de manière moins intense et plus espacée dans le temps. Lors de la lecture de ce roman, je me suis demandée si Ravina n'est pas un reflet de l'auteure qui a vécu à Hong-Kong. Suivre Ravina nous permet également de découvrir cette ville et nous faire vivre à ses côtés la fin du de la domination britannique le 30 juin 2007 et les changements apportés.
Comme très souvent dans les romans indiens et les romans de Kavita Daswani, la modernité côtoie le traditionnel qui a toujours une place très importante pour toutes les couches indiennes. Tout comme dans les précédents romans de Kavita Daswani, la famille est un élément central dans ce roman ; la saison des mariages (indiens) rythme l'ensemble ; l'exubérance et l'extravagance de cette classe bourgeoise y sont représentées à travers le personnage de Sonia. Ayant lu tous les romans de Kavita Daswani, j'ai trouvé "Le roi du Monde" le plus accompli et le plus captivant grâce à une intrigue, celle d'un amour qui ne flétrit pas malgré les décennies. Mais je ne vous en dirais pas plus. Ayant un attachement pour Singapour et Hong-Kong, j'ai été ravie que l'auteure ait brodé son roman à travers ces deux villes, sans oublier d'accorder une petite place à l'Inde et Bombay/Mumbai. Elle nous transmet l'identité indienne qui reste toujours intacte au sein de la diaspora indienne grâce aux valeurs inoculées par les aînés à ses enfants malgré l'éloignement de la mother India.
"Le roi du Monde" est un roman prenant et captivant grâce au personnage d'Anil pour lequel le lecteur ne peut qu'avoir envie de découvrir ce qu'il l'a amené à quitter sa vie. Même si l'on y retrouve les sujets de prédilection de l'auteur que l'on connaît à travers ses précédents romans, ce dernier apporte pourtant un nouveau souffle à son écriture. Une bonne surprise.
Le Roi du monde
De Kavita Daswani
Titre original : Kingpin. Made in Singapore, destroyed in Dubai
Traduit de l'américain par Danièle Mazingarbe
Éditions de Fallois - Date de parution : 11 octobre 2016 - ISBN : 978-2877069618 - 245 pages - Prix éditeur : 20 €
Comments