Telle a été l'histoire de l'East End depuis le début, dit Solly. Ses rues ont été irriguées par des immigrants pendant des siècles : marins chinois et éthiopiens, brasseurs flamands, raffineurs de sucre allemands, ouvriers agricoles irlandais, boat people vietnamiens. Après la guerre, il y a même eu des Maltais et des Chypriotes qui vivaient à Spitalfields. Mais ils viennent et ils repartent. Demain, vous vous réveillerez et découvrirez que Brick Lane a changé une fois de plus. J'ai vu le monde dans lequel j'ai grandi disparaître devant mes yeux. Regardez-le maintenant. Vous ne devineriez jamais que cinquante ans plus tôt vous étiez au cœur d'un ghetto juif.
Au cours des dix années précédentes, Tarquin Hall avait vécu hors d'Angleterre dont les trois dernières en Inde où il rencontra Anu, sa fiancée. En revenant à Londres, il pensait qu'il pourrait réintégrer le quartier huppé de Barnes où il avait grandi. Mais beaucoup de choses avaient changé en son absence et habiter dans les quartiers qu'il prisait, impossible, car les studios se louaient à des tarifs vertigineux et Tarquin était fauché comme les blés. Avec son budget, il ne pouvait que se trouver un toit du côté de l'East End où il ne s'était jamais aventuré. Pour Tarquin, East End c'était un autre monde, un autre pays avec sa propre langue le cockney, des rues sales, une architecture désordonnée, un quartier miséreux et lugubre, ... Bref un quartier à éviter. Pourtant, Tarquin décida d'y louer une mansarde désuète appartenant à un bangladais pègre qui n'avait pas honte de louer un logement insalubre. Mais encore fallait-il l'annonce à Anu qui quitterait bientôt l'Inde pour le rejoindre. C'est ainsi que Tarquin vécut un an à Brick Lane dans le district de Tower Hamlets, dans la rue de "Banglatown" et où s'y croisent des personnes venues de tous les horizons : d'Afghanistan, du Bangladesh, de l'Inde, du Pakistan, de Somalie, d'Irak et d'ailleurs. Alors que les premières semaines après son installation furent extrêmement déprimantes car Tarquin réalisa l'état insalubre de son logement qui ne cessa pas de lui réserver de très mauvaises surprises et sa difficulté à trouver du travail dans le journalisme, il préféra passer le plus de temps possible loin de l'East End. Il finit pourtant par éprouver une étrange fascination à regarder par la fenêtre de son logement et commença à apprivoiser son nouvel environnement. Tarquin Hall fit la rencontre de nombreuses personnes habitant à Brick Lane et se lia d'amitié avec nombre d'entre eux. Il se passionna pour leur histoire et celle d'East End.
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"Salaam London" est, pour reprendre l'expression de la quatrième de couverture, un "récit de voyage à l'envers". L'auteur y raconte son expérience personnelle de cette année passée à Tower Hamlets, un district de Londres. Il enrichit son récit par de nombreuses données historiques et culturelles, dont certaines proviennent d'ouvrages consacrés à ce quartier londonien. Le lecteur appréciera retrouver les références de l'auteur en fin d'ouvrage et leurs nombreux extraits au fil de sa lecture. "Salaam London" est un hommage au roman de Jack London "Peuple de l'abîme" et le lecteur appréciera découvrir d'autres ouvrages dont "Les Enfants du ghetto" d'Israel Zangwill. Tarquin Hall démontre dans "Salaam London", la longue histoire de cette partie de Londres à travers les siècles restant méconnue par les londoniens eux-même. Dans "Salaam London", Tarquin Hall - sans rentrer dans le misérabilisme - nous dresse une description détaillée et surtout très réaliste de la pauvreté qui règne à East End, un quartier chaotique et multiculturel. Il n'hésite pas à aborder les sujets tels que le racisme, le radicalisme, la violence qui attend à exploser à chaque coin de rue, des sans-papiers qui tentent de survivre en se faisant exploiter pour gagner deux sous, les ateliers clandestins, les logements vétustes, ... Mais Tarquin Hall nous y dépeint la solidarité remarquable au sein des différentes communautés d'immigrés, de la débrouillardise de certains mais surtout l'espoir d'une vie meilleure. Pourtant, Londres est loin d'être la terre promise. Certains, ayant fui leur pays, ayant traversé les continents, ayant connu des camps de réfugiés, les passeurs-voleurs, se retrouvent au bout du chemin dans une situation précaire et sans grand espoir d'y trouver un avenir meilleur. Même si ce récit a été écrit il y a plus de dix ans par Tarquin Hall, il reste encore très actuel, la seule différence est sans aucun doute l'origine toujours plus vaste de ces immigrés. Le lecteur de ce livre ne pourra qu'être touché par les nombreuses rencontres que fera Tarquin Hall durant cette année mais surtout par chacune de leur histoire. L'épisode du centre d'appels, un lieu permettant à tout à chacun d'appeler quelques minutes au pays est très émouvant et nous permet de prendre un brin conscience de l'étendue de la misère du monde dans son sens large. "Salaam London" est une analyse très juste, qui nous amène à réfléchir sur la notion même "d'être anglais". Même si Tarquin Hall aborde des sujets sérieux, il n'a pas hésité à nous présenter son ouvrage d'un ton enjoué et n'oublie pas de mettre son propre rôle sous une forme d'autodérision. "Salaam London" est également un récit foisonnant de couleurs et de senteurs, d'un quartier gris où règne la puanteur. J'avais lu précédemment "Vers le cimetière des éléphants" de Tarquin Hall que j'avais adoré. Je trouve judicieux d'avoir enchaîné ma lecture avec "Salaam London" car il a écrit en second par Tarquin Hall et l'on découvre le parcours de l'auteur pour faire publier son premier récit. En lisant "Salaam London", je suis une nouvelle fois ravie de l'écriture de Tarquin Hall. "Salaam London" est un livre à lire. Il permet le temps d'une lecture de nous plonger dans ces quartiers cosmopolites où se côtoient de nombreuses communautés tout en permettant à son lecteur de découvrir un quartier et son histoire. "Salaam London" n'est pas uniquement l'histoire d'un homme, il va bien au-delà de ce que l'on peut s'attendre.
Salaam London De Tarquin Hall
Titre original : Salaam Brick Lane - A Year in the New East End
Traduit de l'anglais par Jacques Chabert Broché -
Éditions Gallimard - Collection : Étonnants voyageurs - Parution le 22 mars 2007 - ISBN : 9782842302771 - 382 pages - Prix éditeur : 23,80 €
Poche - Éditions Gallimard - Collection Folio - Parution le 17 mai 2010 - ISBN : 978-2070412716 - 479 pages - Prix éditeur : 8,80 €
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